"Nous ne devons pas sous-estimer la complexité du sujet, il faut faire les bons choix. D'un point de vue scientifique, il y a encore des divergences sur les impacts d'une définition des perturbateurs endocriniens pour la santé, l'environnement, mais aussi pour l'industrie…". C'est ainsi que Martin Seychell, directeur général de la direction générale Santé, justifiait le lancement d'une étude d'impact sur les critères d'identification des perturbateurs endocriniens, le 1er juin lors d'une conférence organisée par la Commission européenne.
Analyser les différentes options présentées par la Commission
L'étude d'impact va analyser les quatre options d'identification des perturbateurs endocriniens présentées par la Commission européenne en juin 2014. La première option propose un statu quo, autrement dit de s'en tenir à la réglementation actuelle sur les produits phytosanitaires et les biocides. La deuxième option propose une identification des dangers, en se calant sur la définition de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : un perturbateur endocrinien est une substance endocrinienne active qui a des effets nocifs sur un organisme ou ses descendants.
L'option 3 va plus loin que la définition de l'OMS, en introduisant trois catégories supplémentaires en fonction du niveau de preuve : perturbateurs endocriniens avérés, suspectés ou substance active endocrinienne. C'est l'option défendue par la France dans sa stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. La dernière option ajoute, à la définition de l'OMS, une caractérisation du danger, c'est-à-dire la prise en compte d'un niveau de dose.
La Commission européenne propose également trois réponses réglementaires possibles : business as usual, l'introduction d'une évaluation du risque ou la prise en compte d'aspects socioéconomiques (substitution possible…).
L'étude d'impact va donc passer au crible de ces différentes options 700 substances chimiques. L'objectif est de savoir, d'ici l'automne, quelles substances pourraient être classées perturbateurs endocriniens selon les critères d'identification retenus. Le Centre commun de recherche (JRC) a établi la méthodologie. Une première phase pilote sera conduite jusque fin juin sur 35 substances. Une seconde phase sera ensuite lancée pour connaître les impacts sectoriels des différentes options : "Nous savons que choisir une définition aura un impact sur d'autres politiques, explique Ladislav Miko, de la direction des la sécurité sanitaire et alimentaire à la DG Santé. Il y a des divergences scientifiques sur la prise en compte de l'exposition potentielle".
Prendre en compte le danger ou le risque ?
La question d'une approche par le danger ou par le risque est au cœur des débats. "Quand on parle de substances endocriniennes, on fait référence à un mode d'action, explique Daniel Dietrich, chercheur à l'université de Constance (Allemagne). Or, le mode d'action représente un danger potentiel, il ne peut suffir pour bâtir des critères de risque. Ce sont l'exposition et le mode d'exposition qui créent le risque". C'est également le point de vue défendu par les industriels : "Dans l'industrie agroalimentaire, les produits chimiques sont réglementés selon leurs effets, peu importe leur mode d'action. Or, avec les perturbateurs endocriniens, on parle de mode d'action", estime Beate Kettlitz, représentant la fédération industrielle Food Drink Europe. Selon elle, si "les effets indésirables des substances endocriniennes n'ont pas été prouvées, on ne peut pas les considérer comme perturbateurs endocriniens".
Seulement, l'approche par le risque ne permet pas de lever les incertitudes scientifiques sur la multi-exposition, la faible dose et la dose-réponse non monotone. Depuis quinze mois, l'Autorité européenne de sécurité alimentaire (Efsa) travaille à l'élaboration de lignes directrices sur ces différents points. "Nous devrions soumettre à consultation publique un avis cet été, puis nous procéderons à une phase de test pendant un an. L'objectif est que ces lignes directrices deviennent contraignantes", explique Anthony Hardy, membre du comité scientifique de l'Efsa. D'autres groupes de travail planchent sur les éléments de preuve et la question des effets à faible dose. Ils devraient remettre ses conclusions plus tard, en 2016.
Une définition en accord avec les règles de l'OMC ?
Les industriels alertent également sur les conséquences d'un classement de certaines substances, en l'absence de produits de substitution. "Sur les fongicides, par exemple, ne va-t-on pas introduire de nouveaux risques ? Idem pour les biocides dont le rôle est important pour l'hygiène des produits alimentaires. Pourra-t-on maintenir le même niveau de sécurité alimentaire ?", s'inquiète le représentant de Food Drink Europe. Michèle Rivasi balaie ces craintes : "Avant l'interdiction d'une substance, un laps de temps permettra à l'industrie de trouver une molécule de substitution, comme cela a été le cas pour l'interdiction du bisphénol A en France".
Mais l'encadrement des perturbateurs endocriniens n'inquiète pas seulement les industriels européens. "L'Argentine fournit beaucoup de produits agricoles à l'Europe. Nous suivons les discussions de très près, souligne Gaston Maria Funes, de l'ambassade argentine. Toute décision doit respecter les principes de l'organisation mondiale du commerce (OMC). L'UE considère que le principe de précaution est un droit coutumier, une sorte de parapluie qu'elle ouvre, mais cela la pousse à aller au delà des règles de l'OMC et à faire obstacle aux échanges commerciaux". Et de prévenir : "Interdire des substances sur la base d'un éventuel danger, sans base scientifique solide, nous paraît être un obstacle injustifié aux échanges". Au moment où se négocie le traité de libre-échange transatlantique, ces déclarations risquent de raviver les craintes de certains…