
Juriste pourClientEarth, organisation sans but lucratif qui utilise le droit pour protéger l’environnement
Actu-environnement.com : La commission Environnement du Parlement européen s'est prononcée contre (36 voix contre 26) la proposition de la Commission européenne sur les critères de définition des perturbateurs endocriniens utilisés comme pesticides. Reste désormais aux eurodéputés à se positionner en assemblée plénière, le 4 octobre. Quelle importance a le vote du Parlement européen ?
Apolline Roger : Son importance s'avère extrême : le Parlement se situe dans une position clef, il représente la dernière chance de s'opposer à ces critères.
La procédure applicable pour l'adoption des critères est la procédure de comitologie qui était en vigueur avant le traité de Lisbonne. Selon cette dernière, la Commission propose des critères qui sont ensuite examinés par un comité composé d'experts des différents Etats membres. Le Parlement examine ensuite la proposition résultante et peut exercer un droit de veto. S'il l'utilise, la Commission devra proposer un nouveau texte. Dans le cas contraire, ces critères entreront en vigueur et seront donc applicables dans le cadre de la réglementation pesticides.
AE : Ces critères ne pourront être utilisés que dans le cadre de la réglementation européenne sur les pesticides ?
AR : Ces critères ne seront effectivement utilisables que dans l'application de cette réglementation... Cependant, il est possible que leur influence aille au-delà. La définition des perturbateurs endocriniens sera nécessaire pour d'autres réglementations pour lesquelles les discussions ne sont pas encore engagées.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le 7e programme pour la protection de l'environnement avait appelé la Commission à adopter des critères horizontaux d'identification des perturbateurs endocriniens, c'est-à-dire applicables dans le cadre de toutes les réglementations européennes. Pour plusieurs raisons, notamment politiques, cela ne s'est pas concrétisé.
La Commission a ensuite reçu deux mandats plus spécifiques pour adopter des critères d'identification des perturbateurs endocriniens : l'un dans le cadre de la réglementation pesticides et l'autre de la réglementation biocides. Cette année, la Commission a adopté les mêmes critères pour les deux réglementations même s'ils seront adoptés en vertu de deux mandats différents, et qu'ils seront applicables sous deux textes différents. Ceux concernant la réglementation biocide seront discutés plus tard au Parlement.
Le débat, qui a lieu maintenant sur les critères adoptés pour la Réglementation pesticides, aura probablement une influence sur la future discussion des critères biocides mais aussi, potentiellement, de critères horizontaux si la Commission décide de remettre ce projet en route.
C'est également l'une des raisons pour lesquelles nous souhaitons que le Parlement oppose son veto à la proposition de la Commission européenne.
AE : Pourquoi, selon vous, la proposition de la Commission européenne est illégale ?
AR : La réglementation pesticides a donné à la Commission un pouvoir précisément délimité. La Commission a le droit d'adopter des critères scientifiques d'identification des perturbateurs endocriniens et de modifier des éléments non-essentiels de la réglementation.
L'analyse publiée par ClientEarth démontre que la Commission ne s'est pas contentée d'adopter des critères scientifiques : elle entend également modifier un élément essentiel de la réglementation pesticide. Cet élément essentiel, c'est la décision claire et définitive prise par le Parlement et le Conseil de bannir l'usage des perturbateurs endocriniens dans les pesticides, lorsque ces substances ont un effet négatif sur les humains et sur les espèces non ciblées par les pesticides.
Dans sa proposition de critères d'identification, la Commission européenne a en effet ajouté une clause qui revient à autoriser les substances qui perturbent intentionnellement le système endocrinien des insectes ciblés par le pesticide, même si la substance a aussi un impact négatif sur des espèces non cibles.
AE : Un recours sera-t-il possible si en assemblée plénière les eurodéputés vont dans le sens de la Commission européenne ?
AR : Les critères pourront être contestés devant la Cour de justice. Pour une ONG ou un membre du public, il serait très difficile de convaincre la Cour de l'existence d'un droit d'agir. Un Etat membre ou le Parlement aurait le droit de contester la décision, mais probablement pas la volonté politique de le faire.