La mission commune d'information du Sénat sur les pesticides, présidée par Sophie Primas (UMP – Yvelines), a auditionné mardi 10 avril les représentants du ministère de l'Agriculture et de l'Anses sur le régime d'évaluation, d'autorisation et de dérogations applicable aux épandages par aéronefs de produits phytopharmaceutiques. Cette audition fait suite à une lettre du Directeur général de l'alimentation, datée du 5 mars, qui a suscité beaucoup d'interrogations.
Instruction des demandes de dérogations pour la campagne 2012
Quel est l'objet de cette "lettre à diffusion limitée" adressée aux préfets ? Elle vise à "informer les services instructeurs des demandes de dérogation pour les traitements par voie aérienne des produits utilisables ou potentiellement utilisables pour la campagne 2012".
La possibilité de dérogation est effectivement prévue dans la directive 2009/128, mais uniquement "dans des cas particuliers et sous conditions", comme le rappelle la lettre aux préfets. Parmi ces conditions figure la réalisation d'une évaluation spécifique des risques liés à l'évaluation aérienne. En France, cette évaluation est confiée à l'Anses.
Au 20 février 2012, indique le Directeur général de l'alimentation, Patrick Dehaumont, sept produits avaient fait l'objet de cette évaluation spécifique de l'Anses et vus leur autorisation de mise sur le marché modifiée en conséquence. Il s'agit de fongicides, herbicides, insecticides et stimulateurs des défenses naturelles pour une utilisation sur les cultures de bananiers et de riz.
L'autorisation de ces produits pour des applications pas voie aérienne est conforme à l'arrêté du 31 mai 2011 qui avait déjà opéré ce glissement du principe d'"interdiction sauf dérogations", inscrit dans la directive et la loi Grenelle 1, vers une pratique de dérogations organisée.
Demandes de dérogations sur des produits non évalués
Mais la "lettre à diffusion limitée" va plus loin puisqu'elle liste 16 produits en cours d'évaluation par l'Anses. "Ces produits peuvent en conséquence être intégrés dans les demandes de dérogation formulées par les opérateurs", indique le document. Qui précise que, dans les cas où l'évaluation des produits ne serait pas terminée au 31 mars 2012, date limite de dépôt des demandes de dérogation annuelle pour les traitements aériens, "les dérogations pourront être octroyées « sous réserve que les produits utilisés aient bien été autorisés spécifiquement au moment de la déclaration préalable de chantier »".
"Cela n'indique pas que des utilisations de produits n'ayant pas fait l'objet d'évaluation par l'Anses puissent être autorisés", se défend Patrick Dehaumont. Reste que la rédaction de la lettre est extrêmement ambiguë. Son caractère "confidentiel" n'est pas là pour rassurer les opposants à l'épandage aérien et apparaît contradictoire avec les mesures de publicité et d'information du public pourtant prévues par l'arrêté du 31 mai 2011.
Dix-huit dérogations annuelles et 39 dérogations ponctuelles accordées
"Les opérations d'épandage ne peuvent être autorisées qu'à la double condition que le produit soit autorisée en traitement aérien et que l'issue de l'instruction du dossier de demande par le préfet au plan local soit favorable", rappelle aussi Patrick Dehaumont. En bref, des produits autorisés peuvent voir leur épandage refusé.
Interrogé par la mission sur l'état des demandes de dérogations, Frédéric Vey, chef du bureau des biotechnologies, de la biovigilance et de la qualité des végétaux au ministère de l'Agriculture, précise que 18 dérogations annuelles et 39 dérogations ponctuelles ont été accordées, représentant 800 opérations d'épandage, en grande majorité outre-mer, et plus particulièrement sur les cultures de bananiers en Guadeloupe.
Un encadrement plus strict que les années précédentes
"En tout état de cause, le dispositif en place aujourd'hui encadre de manière bien plus stricte l'usage de l'épandage aérien par rapport à la situation antérieure", souligne Patrick Dehaumont.
"En 2011, tous les produits autorisés pouvaient être utilisés en traitement aérien. En 2012, seuls ceux dont l'évaluation pour cet usage spécifique est réalisée peuvent l'être", précise Robert Tessier, sous-directeur de la qualité et de la protection des végétaux au ministère de l'Agriculture.
"Grâce au système de réévaluation annuelle, on devrait aboutir à terme à la disparition du traitement aérien, au fur et à mesure de l'adaptation des matériels", renchérit Emmanuelle Soubeyran, responsable du service de la prévention des risques sanitaires de la production primaire dans le même ministère. En effet, les dérogations accordées le sont quasiment exclusivement du fait des avantages techniques présentés par le traitement aérien par rapport à une application terrestre, en cas de forte pente notamment.
Mais si la situation est en progrès aux yeux du ministère de l'Agriculture, l'objectif d'interdiction de l'épandage aérien affiché par le Grenelle semble encore bien loin. D'autant que, comme le reconnaît Patrick Dehaumont, concernant la programmation des contrôles, il s'agit d'une année de transition.