L'arrêté pris par le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine), Daniel Cueff, défraie la chronique depuis son adoption en mai dernier. Surtout depuis que l'on sait que la préfète de département l'a déféré à la justice administrative, estimant l'édile incompétent pour édicter un tel texte. L'arrêté du maire réglementait l'utilisation des pesticides dans un rayon de 150 mètres autour des habitations et des locaux professionnels.
Après l'audience qui s'est tenue le 22 août, le Tribunal administratif de Rennes avait mis la décision en délibéré. Par une ordonnance prononcée ce mardi 27 août, il suspend l'arrêté du maire en attendant une décision au fond. "Le moyen tiré de l'incompétence du maire de Langouët pour réglementer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques sur le territoire de sa commune est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté", juge le Tribunal.
Immixtion du maire dans la police spéciale confiée à l'Etat
"Si, en vertu de ces dispositions du code général des collectivités territoriales, il appartient au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s'immiscer, par l'édiction d'une règlementation locale, dans l'exercice d'une police spéciale que le législateur a organisée à l'échelon national et confiée à l'Etat", rappelle le tribunal. Or, la réglementation de l'utilisation des pesticides relève d'une police spéciale confiée, selon les cas, aux ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation, ou de celle du préfet de département. Et non au maire. De plus, ajoute la décision, si le principe de précaution, qui avait été invoqué par le maire, est applicable à toute autorité publique dans ses domaines d'attributions, il "ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d'excéder son champ de compétence et d'intervenir en dehors de ses domaines d'attributions".
L'ordonnance rappelle qu'il appartient à l'autorité administrative de prévoir l'interdiction ou l'encadrement de l'utilisation des pesticides dans des zones particulières, notamment celles utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables comme les femmes enceintes, les enfants, les personnes âgées ou les habitants et travailleurs fortement exposés aux pesticides sur le long terme. Or, faisant référence à la décision du Conseil d'Etat du 26 juin dernier, le tribunal considère que l'autorité administrative compétente relève de l'Etat et non du maire. Par cette décision, la haute juridiction administrative a annulé partiellement l'arrêté ministériel du 4 mai 2017 qui n'avait pas prévu de dispositions de protection des riverains des zones traitées. Ceux-ci doivent en effet être considérés comme des habitants "fortement exposés" au sens de la législation européenne. Par cet arrêt, le Conseil d'Etat a enjoint aux ministres chargés de l'écologie, de l'agriculture, de l'économie et de la santé de prendre un nouvel arrêté dans un délai de six mois.
Un arrêté qui ouvre le débat
"Juridiquement, ce n'est pas une surprise et le juge ne pouvait pas décider autrement, réagit l'avocat Arnaud Gossement à l'annonce de la décision du tribunal breton. Politiquement, cet arrêté a ouvert un mouvement très intéressant", ajoute le spécialiste du droit de l'environnement.
Le débat est en effet ouvert. Il rappelle celui portant sur les arrêtés anti-OGM pris par les maires il y a une quinzaine d'années. Ils s'étaient heurtés au même obstacle juridique mais, politiquement, avaient "beaucoup contribué à la disparition des cultures OGM", rappelle l'avocat. L'évolution de la société peut en effet être en avance sur celle du droit, comme l'ont montré la multiplication des arrêtés anti-pesticides pris par les maires et la forte mobilisation des associations et du public qui l'a accompagnée.
"La démarche contentieuse engagée par la préfète d'Ille-et-Vilaine est révélatrice d'une vision rétrograde de l'agriculture, usant et abusant du droit pour tenter de museler un débat nécessaire et légitime autour de l'utilisation irraisonnée des pesticides de synthèse", réagissait ainsi l'association Agir pour l'environnement le 20 août. Ce mardi, dans un communiqué déplorant la décision du tribunal, l'association Générations futures invite "tous les maires de France à prendre des arrêtés similaires" et apporte son soutien à Daniel Cueff, qui a immédiatement annoncé faire appel de la décision.
La réglementation en consultation dans les prochains jours
Dans une interview à Konbini, Emmanuel Macron a indiqué au lendemain de l'audience du Tribunal de Rennes qu'il soutenait la préfète qui cherchait à faire respecter la loi. Mais il a donné raison au maire sur ses motivations. "Nous devons aller vers un encadrement des zones d'épandages des pesticides (…). Il y a des conséquences sur la santé publique", a déclaré le président, ajoutant "c'est à nous de réussir maintenant à changer la loi". Lors de la discussion de la loi Egalim courant 2018, le gouvernement avait pourtant refusé des mesures trop restrictives, privilégiant une approche volontaire à travers l'adoption d'une charte d'engagements. "La charte riverain sur les phytos que nous déployons sur le terrain est l'illustration concrète du dialogue auquel nous croyons", a redit ce mardi Christiane Lambert, présidente de la FNSEA.
Il n'en reste pas moins que l'annulation de l'arrêté ministériel par le Conseil d'Etat et le changement d'approche du président de la République annoncent un renforcement de la réglementation, si ce n'est de la loi. Interrogée sur France Inter ce mardi 27 août, la ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne a annoncé la mise en consultation dans les prochains jours d'une réglementation qui "intègrera une interdiction d'épandage à trop grande proximité des maisons". Cette réglementation nationale pourra être adaptée "dans des chartes locales s'il y a des conditions particulières", a précisé la ministre.
S'appuyant sur deux rapports d'expertise réalisés par l'Anses et les inspections des ministères de l'Agriculture, de l'Ecologie et de la Santé, le gouvernement avait présenté en juin le projet de réglementation aux parties prenantes. Les projets de décret et d'arrêté prévoyaient la mise en place de zones non traitées de 5 à 10 mètres de large, combinés avec d'autres mesures de réduction des dérives. Le projet fait "l'objet de consultation avec l'ensemble des parties prenantes", indique la députée LReM Laurence Maillart-Méhaignerie. Il devrait permettre de prévoir une distance minimale entre les zones d'habitation et l'épandage "en fonction de la toxicité des produits utilisés", précise la parlementaire.