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Interdiction des pesticides : la surtransposition, du mythe à la réalité

Dorian Guinard critique la thèse de la surtransposition en matière de pesticides mise en avant par de nombreux acteurs. Celle-ci sous-entend que le droit français va au-delà des obligations communautaires.

DROIT  |  Tribune  |  Agroécologie  |  
Droit de l'Environnement N°322
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°322
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Interdiction des pesticides : la surtransposition, du mythe à la réalité
Dorian Guinard
Maître de conférences en droit public à l’université Grenoble Alpes
   

Une des problématiques actuelles concernant les pesticides porte sur un point de droit particulier relatif à la « surtransposition ». Cette notion est définie par le Conseil d'État dans un avis de 2018 (1) comme « la création de normes de droit interne excédant les obligations résultant d'une directive ». Elle est invoquée tant par certains syndicats agricoles que par des journalistes, mais également par le ministre de l'Agriculture, qui y voit dans une tribune du 1er avril 2023 ni plus ni moins qu'une « logique infernale » qui conduirait « à la fin assumée de l'agriculture française ». La majorité parlementaire l'a également mobilisée en déposant une proposition de résolution le 28 février 2023  (2) visant « à lutter contre les sur-transpositions en matière agricole » en prescrivant « l'impérieuse nécessité de lutter contre les sur-transpositions des directives européennes, pour éviter des distorsions de concurrence majeures au détriment de l'agriculture française et de notre économie ». Mais surgit ici une question étonnamment peu (voire non) soulevée : la surtransposition en matière de pesticides, phénomène a priori si dangereux pour notre agriculture, existe-t-elle ? Disons-le simplement : la réponse est négative. L'analyse juridique, trop peu sollicitée dans les médias, apporte pourtant des éléments de définition qui, bien que techniques, éclairent néanmoins le débat, mal posé jusque-là.

Rappelons très classiquement que le droit de l'Union européenne (UE) est composé notamment des traités et du droit dérivé, constitué, en vertu de l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), de règlements, de directives et de décisions. Les directives, pour être effectives, doivent être « transposées » dans notre système juridique par des normes internes pour que les objectifs européens soient atteints. Les règlements, quant à eux, sont obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans les États membres : ils ne nécessitent donc aucune transposition (ni encore moins de surtransposition). Souvent dénoncée mais surestimée de l'avis même du Gouvernement en 2020 (3) (à propos de la loi Essoc) la surtransposition ne peut donc concerner que les directives de l'UE. Or, le régime juridique des pesticides, et c'est une particularité remarquable, est presque exclusivement constitué de … règlements, dont le principal organise l'autorisation des produits phytopharmaceutiques (PPP). Dans la réalité, une seule directive concerne véritablement les PPP et a été reprise sans réelle modification par l'article 253-6 du code rural et de la pêche maritime. Aucune surtransposition à relever.

En matière de pesticides, les États évoluent ainsi dans ce cadre réglementaire (au sens strict !) européen. L'UE, via l'EFSA (4) et la Commission européenne, autorise les substances actives, à charge pour les États membres d'autoriser les produits (les PPP, composés de substances actives et/ou d'adjuvants et de co-formulants). Ce qu'il faut comprendre ici réside dans le fait que les États agissent dans le cadre de compétences habilitées par l'UE. Ils ne vont donc pas plus loin que les exigences de l'UE : ils sont schématiquement des organes de mise en œuvre des règlements et possèdent, certes, une marge de manœuvre dans l'autorisation des pesticides, prévue par ces règlements.

Mais mettre en œuvre le droit de l'Union n'est pas mettre en œuvre exagérément le droit de l'UE, et encore moins le surtransposer ! Interdire ou ne pas interdire un pesticide n'est donc en rien un acte de surtransposition mais l'exercice d'une compétence instituée par le droit de l'UE et fondée sur une position scientifique des agences sanitaires nationales. Ces interdictions reposent au demeurant sur des clauses dites parfois « de sauvegarde » contenues dans les règlements de l'UE et qui peuvent être actionnées pour protéger la santé et/ou l'environnement. Les absences d'autorisation, les suspensions ou les retraits de PPP ne sont pas des actes qui vont au-delà des positions de l'UE, mais bel et bien - pour des raisons de protection de la santé humaine et des écosystèmes - une mise en œuvre du droit de l'UE : l'État ne surtranspose aucunement en la matière ! La France peut ainsi retirer l'autorisation d'une substance ou circonscrire ses usages, comme l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) vient de le faire pour le S-Metolachlore, sur le fondement des articles 29 et 44 du règlement du 21 octobre 2009. De même, elle peut aussi, si elle considère qu'une substance active (et/ou un PPP) est dangereuse, interdire l'importation d'aliments traités avec celle-ci dans l'UE, comme elle l'a fait à propos des cerises contenant la substance active diméthoate depuis 2016, ou récemment pour celles contenant du phosmet, sur le fondement de l'article 54 du règlement du 28 janvier 2002. On remarquera que cette possibilité d'interdire l'importation d'aliments traités dans l'UE avec une substance active jugée dangereuse protège les productions nationales et atténue grandement les distorsions concurrentielles (au moins sur notre territoire national car la problématique de l'exportation, donc in fine des rendements, demeure). La question de l'interdiction d'importations d'aliments traités avec l'acétamipride, dernière substance active appartenant à la famille des néonicotinoïdes autorisée dans l'UE mais interdite en France depuis la loi de reconquête de la biodiversité à partir de 2018 présente peu de difficultés juridiques. Dans un but de préservation de l'environnement, on préférera cette solution que la réintroduction législative de l'acétamipride souhaitée par des députés du Rassemblement national dans une proposition de loi du 25 avril 2023 (5) , confuse sur la motivation juridique (ciblant une surtransposition de « directives qui n'interdisent pas l'acétamipride », directives en la matière inexistantes car c'est un règlement de la Commission 24 janvier 2018, en application du règlement (6) , qui a autorisé la substance). Cette proposition de loi est également lacunaire du point de vue scientifique, car elle ne prend pas en compte les effets de la pulvérisation foliaire sur d'autres insectes comme les coccinelles et notamment leurs larves (particulièrement sensibles à l'acétamipride). Et elle est imprécise sur les critères d'application de la dérogation, pointant un déclenchement de celle-ci lorsqu'un « risque avéré de jaunisse » existe. Cette expression est pourtant sans signification objective tant les débats ont été nombreux cette année sur une possible dérogation, alors même que la fiche d'analyse des réservoirs viraux 2022 de l'Inrae (7) et de l'ITB (8) ne recensait pas de virus sur les plantes utilisées comme référence.

Dès lors, la problématique de fond, quelque part masquée par le martèlement de la surtransposition, n'est pas celle d'aller plus loin que les exigences européennes mais celle de faire primer, par prévention ou précaution, les impératifs liés à la santé humaine et à la préservation des écosystèmes sur des considérations économiques, ou inversement. C'est précisément cette polémique qui secoue en ce moment l'Anses à propos de la phosphine et des métabolites du S-Metolachlore, à qui on a reproché de ne pas prendre en compte ces impératifs économiques, ce qui n'est, au demeurant, pas son office. Mais il n'est aucunement question, là encore, de surtransposition !

Pour finir, on rappellera que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) - dont les décisions s'imposent aux 27 États membres - souligne fréquemment, comme elle vient de le faire récemment à propos des néonicotinoïdes le 19 janvier 2023, que « l'objectif de protection de la santé humaine ainsi que de l'environnement devrait primer celui de l'amélioration de la production végétale ». L'exécutif semble parfois concevoir une interdiction des pesticides uniquement en cas de « force majeure » liée à la santé publique, pour reprendre l'expression de madame la Première Ministre au salon de l'agriculture le 27 février dernier. C'est oublier étrangement que l'interdiction peut aussi reposer sur la protection des écosystèmes, terriblement vulnérables désormais.

Il serait bienvenu pour le débat public que les problématiques en matière de pesticides soient correctement posées, afin d'avoir un débat clair : celui portant sur la primauté soit des impératifs sanitaires et environnementaux, soit des impératifs économiques, sans agiter le leurre d'une France qui excéderait les préconisations européennes. Et nous discuterons alors de la nature et de la pertinence des justifications produites pour autoriser ou retirer des pesticides, en confrontant différentes visions de l'intérêt général. À n'en pas douter antagoniques.

1. CE, avis, 27 sept. 2018, n° 3957852. Proposition résol. n° 905, visant à lutter contre les surtranspositions en matière agricole3. Januel P., Pour le gouvernement, il n'y a pas de problème de surtransposition, Dalloz Actualité, 16 mars 20224. Autorité européenne de sécurité des aliments

5. Proposition de loi n° 1135, 25 avr. 2023, visant à rétablir temporairement l'usage du néonicotinoïde acétamipride en France, exclusivement pour le traitement foliaire de la betterave à sucre et dans l'attente de solutions alternatives pour la filière sucrière6. Règl. (CE) n° 1107/09, 21 oct. 2009, op. cit.7. Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement8. Institut technique de la betterave

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