Le rôle protecteur attribué aux équipements de protection individuelle (EPI) dans l'autorisation de mise sur le marché (AMM) des pesticides doit être remis en question. C'est la conclusion à laquelle les auteurs d'une revue critique de la littérature scientifique parviennent dans un article (1) à paraître dans le numéro de mars 2020 de la revue Safety Science.
Cette étude a porté sur les combinaisons utilisées pour se protéger des produits phytopharmaceutiques dans les pays de l'OCDE. Ses résultats montrent que l'octroi des autorisations des produits repose en grande partie sur la recommandation d'utilisation d'un EPI et sur la garantie que l'on accorde à cet équipement pour limiter l'exposition des travailleurs. Et ce, alors que les EPI ne devraient être utilisés qu'en dernier recours après la mise en place d'autres mesures prioritaires : réduction de l'utilisation des pesticides, substitution des produits les plus dangereux, mesures de protection collective des travailleurs. Certains produits dangereux seraient interdits sans cette hypothèse de protection liée à l'EPI, indiquent les auteurs. Or, cette protection semble assez illusoire à en croire les conclusions de cette analyse.
Écart entre le modèle théorique et la réalité
Les auteurs constatent un décalage entre le modèle théorique idéal et la réalité de la protection sur le terrain. En premier lieu, les EPI préconisés ne sont pas toujours utilisés, pour des raisons diverses liées à des caractéristiques personnelles (degré d'aversion au risque, éducation, formation, subordination à l'employeur, etc.) ou aux caractéristiques de l'équipement lui-même (inconfort thermique et mécanique, image négative sur le voisinage, coût). À cet égard, « la prévention des risques dépendante des EPI est confrontée à un dilemme, relève la publication, plus un EPI protège des pesticides, plus il est susceptible d'être inconfortable, voire impossible à porter. De plus, plus son efficacité est élevée, plus elle risque d'être coûteuse ».
Par ailleurs, la protection des EPI, même utilisés dans le respect des préconisations, ne garantit pas toujours une bonne protection. En premier lieu, l'évaluation de leur efficacité ne prend pas en compte les nanotechnologies et les effets à faible dose. Ensuite, les études en laboratoire de la qualité des matériaux composant l'EPI se révèlent complexes. « Les tests en laboratoire peuvent fournir des informations sur la pénétration et la perméation des pesticides à travers le tissu, mais seuls les tests sur le terrain dans des conditions d'exposition réalistes peuvent déterminer l'efficacité globale de la conception et sa capacité à réduire la pénétration », révèlent les études analysées. Les matériaux utilisés peuvent se révéler moins protecteurs qu'attendu. « D'autres éléments, tels que la conception, peuvent avoir des conséquences sur les niveaux d'exposition qui ne sont pas testables en laboratoires », soulignent les auteurs de l'article.
Les études disponibles identifient plusieurs facteurs susceptibles d'altérer la protection : mode de nettoyage de l'EPI, frottements pouvant entraîner un transfert de pesticides à l'intérieur de la combinaison, variété des formulations (poudre, granulés, liquide) et des modes d'utilisation (pulvérisation, fumigation, mélange, nettoyage, etc.), résistance des combinaisons à la perméation, etc. Certaines études démontrent même que « la contamination peut être plus élevée pour les travailleurs portant des EPI que pour ceux qui ne les portent pas », du fait de l'absorption des produits par les équipements.
Dans le même temps, les auteurs expriment leur doute sur la possibilité de réaliser des tests de terrain dans les conditions réelles d'utilisation. « Étant donné le nombre de formulations disponibles dans le commerce, le fait que l'exposition peut combiner plusieurs produits, la variété des conditions de travail et la faible standardisation des pratiques agricoles, on peut s'interroger sur la faisabilité d'une telle entreprise pour tous les scénarios d'utilisation des EPI dans tous les types d'agriculture », indiquent-ils.
Des dangers pas seulement attribués à la négligence
Les auteurs de cette nouvelle analyse suggèrent d'intégrer dans les scénarios d'exposition les difficultés rencontrées lors de l'utilisation réelle des produits afin que la protection des EPI ne soit pas surestimée lors du processus d'AMM ou lors d'interventions visant à réduire les expositions professionnelles aux pesticides. Cela passe par la production de nouvelles données sur la perméation des matériaux et la mise en œuvre de principes d'observation et d'échantillonnage pour la collecte de données de terrain suite à l'octroi de l'AMM. « Les progrès de la toxicologie (sur les effets des faibles doses) et les développements des technologies chimiques (avec l'émergence des nanomatériaux) appellent à un réexamen radical du rôle que les EPI peuvent jouer dans la prévention des risques chimiques », ajoutent les auteurs.