Il ne figure pas parmi les sujets prioritaires mentionnés par le ministre de l'Agriculture, dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne. Le projet de texte législatif communautaire relatif aux statistiques sur les pesticides, dit SAIO (Statistics on Agricultural Input and Output), devra pourtant mobiliser les équipes de Julien Denormandie, puisque la France est aux manettes du trilogue (Parlement, Commission, Conseil) ouvert, le 3 février dernier, pour faire avancer les négociations.
Publiée le 2 février 2020 par la Commission européenne, cette nouvelle réglementation prévoyait notamment l'uniformisation des remontées statistiques des pays sur leur utilisation des pesticides, la publication annuelle des données (produits utilisés, quantité, surface, types de culture concernés…), leur enregistrement électronique par les agriculteurs et un accès public à ces informations.
Au-delà des points techniques, des enjeux importants
Selon une enquête des deux ONG Pesticides Action Network (PAN) et la branche autrichienne des Amis de la Terre, la proposition a été largement amendée, en décembre dernier, par le Conseil européen, sous l'impulsion de dix États membres, dont le Danemark, l'Espagne, la Hongrie, l'Irlande, la Pologne, l'Autriche et l'Allemagne. Parmi les modifications apportées figurent une périodicité de cinq ans pour la publication des statistiques, le refus d'une harmonisation entre les États et de l'obligation d'utiliser le numérique, le retrait du bio des statistiques… Si la position du Conseil européen reste floue sur l'accès de tous aux données, les autres changements s'avèrent suffisamment importants pour rendre impossible, selon les ONG et les parlementaires, la mesure des progrès, et donc la réduction de moitié de l'usage de ces produits, comme le prévoit le Pacte vert et la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette ».
Considéré comme technique par beaucoup, y compris par le ministre français, qui a confié à une représentante fonctionnaire le soin de mener les négociations à sa place, le texte est, en effet, éminemment politique. « On ne peut pas prétendre baisser le niveau d'utilisation des pesticides sans même savoir ce que l'on utilise à un niveau relativement précis, souligne la juriste Alice Bernard, qui travaille sur ce dossier pour l'ONG ClientEarth. Ne pas à se mettre d'accord sur le type de données à collecter et à publier, en s'appuyant sur un système d'information digne de ce nom, reviendrait à vider de leur sens toutes les autres initiatives sur les pesticides. »
Un texte finalisable pendant la présidence française de l'UE
Des discussions constructives
De fait, prévues pour durer jusqu'en mai, si nécessaire, les discussions avancent pour le moment de manière constructive. « La représentante française ne ferme pas la porte aux arguments des parlementaires et leur majorité est bien accueillie par la Commission, pourtant difficile à faire bouger. À défaut d'être tous intégrés, ils sont au moins entendus par le Conseil », analyse le député européen français Benoît Biteau (groupe des Verts). Le changement de coalition à la tête de l'Allemagne pourrait aussi peser dans la balance, en rétablissant l'équilibre numéraire des pays « pour » et des pays « contre ». Berlin qui faisait, en effet, partie des dix opposants au texte de la Commission vient d'annoncer qu'il changeait de camp... Son ralliement pourrait contribuer à faire avancer plus rapidement les débats. « On peut donc imaginer que le conseil s'alignera sur la position de la Commission et du Parlement », indique Éric Andrieu.
Reste un petit écueil à surmonter : celui du financement des mesures. « Des traitements statistiques un peu plus poussés nécessitent des moyens plus importants », remarque Benoît Biteau. Tenant les cordons de la bourse, le conseil pourrait être tenté de faire un peu de résistance. « C'est pourquoi il serait important que le ministre pèse de tout son poids sur les négociations et fasse acte de présence », insiste Éric Andrieu. Si la France n'est pas à l'origine du texte de la Commission, ce serait pour elle l'opportunité de prendre le leadership sur ce sujet, « sécurisant ainsi une réforme ambitieuse », souligne Alice Bernard.