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Plans de relance européens : quand la filière hydrogène décolle

Les plans de relance des États membres européens font une place de choix à l'hydrogène. L'année 2020 pourrait être l'année 1 du décollage de la filière avec, comme objectif, la construction d'une filière industrielle et de leaders européens.

Décryptage  |  Energie  |    |  F. Roussel
Plans de relance européens : quand la filière hydrogène décolle

Juillet 2020. En pleine crise sanitaire liée à la Covid-19, la Commission européenne prépare son plan de relance. Un plan de relance où la décarbonation est un objectif clairement affiché et où l'hydrogène va faire une entrée remarquée. L'objectif de la Commission est de verdir la production d'hydrogène actuelle grâce aux énergies renouvelables et d'en développer les usages, notamment en substitution des combustibles fossiles. D'ici 2024, la Commission souhaite l'installation d'une capacité d'au moins 6 gigawatts (GW) d'électrolyseurs sur le territoire européen, afin de produire jusqu'à un million de tonnes d'hydrogène renouvelable. D'ici 2030, cette capacité devra atteindre 40 GW d'électrolyseurs et une production de 10 millions de tonnes d'hydrogène renouvelable. Enfin, de 2030 à 2050, l'hydrogène renouvelable aura atteint sa maturité et sera déployé à grande échelle « dans tous les secteurs difficiles à décarboner »,indique la Commission.

Mais en attendant un hydrogène renouvelable mature et abordable, comment faire ? Faut-il accepter l'hydrogène décarboné – produit à partir du nucléaire, ou par les fossiles avec stockage du carbone ? Sur ce point deux camps s'opposent à Bruxelles : « L'Espagne, le Portugal, l'Autriche, le Danemark, le Luxembourg (pays qui affichent un fort taux d'énergies renouvelables) poussent pour que seul l'hydrogène renouvelable soit soutenu, tandis que la France, les Pays Bas, les pays de l'Est sont plutôt favorables à inclure le nucléaire et à soutenir l'hydrogène décarboné », résume Philippe Boucly, président de France Hydrogène. Pour Jacques Trenner, du think tank The Shift project, une chose est sûre : « Les énergies renouvelables ne suffiront pas à couvrir l'ensemble des besoins en hydrogène ». De ce débat, et de ces multiples options, vont découler des plans de relance nationaux, tous très ambitieux, mais aux moyens bien différents.

Allemagne-France : deux stratégies, deux visions

« Aujourd'hui, 40 pays dans le monde ont publié ou vont publier une stratégie hydrogène avec de grands démonstrateurs, constate Mikaa Mered, professeur de géopolitique de l'hydrogène à HEC Paris et à l'École de relations internationales (ILERI). Le discours des promoteurs de la filière a été entendu : avec un coup de pouce d'argent public, on va pouvoir débloquer les potentiels et basculer à l'échelle industrielle. » Et de l'argent public, cela tombe bien, il y en a dans le cadre des plans de relance. « Le soutien public le plus important à la filière est en Asie, notamment au Japon qui a été le premier à imaginer une vision géopolitique de l'hydrogène. » Mais l'Europe n'est pas en reste avec, notamment, l'Allemagne et la France. Mais malgré des volumes d'investissement similaires (7 milliards pour la France, 9 milliards pour l'Allemagne), les deux pays ont une approche très différente de l'économie de l'hydrogène qu'ils veulent bâtir.

Côté français, zéro centime sera investi sur les partenariats internationaux pour construire des chaînes d'approvisionnement, alors que l'Allemagne va y consacrer deux milliards d'euros en investissant, par exemple, directement dans des projets à l'étranger. « Le projet Desertec, qui consiste à construire de nombreuses centrales solaires dans le nord de l'Afrique pour alimenter l'Europe en électricité renouvelable, pourrait être relancé pour cette fois produire de l'hydrogène vert sous le soleil africain et l'importer par bateau en Europe, explique Mikaa Mered. L'Allemagne refuse l'hydrogène nucléaire et elle assume pleinement que si elle ne peut pas produire de l'hydrogène vert sur son territoire, elle l'importera. La France, elle, mise sur une production 100 % domestique. Ce sont deux logiques complètement différentes. La France veut s'autonomiser, l'Allemagne veut se décentraliser », résume le spécialiste.

Un réseau de transport à dessiner

À travers ces stratégies différentes, se dessine une géopolitique de l'hydrogène différenciée qui ne semble pas poser de difficultés techniques, notamment en matière de transport de l'hydrogène. « L'hydrogène pur doit être produit près de son lieu d'utilisation, car il est difficile à transporter. Mais l'hydrogène sous forme d'ammoniac liquéfié est déjà transporté sur toutes les mers du globe. On peut même choisir d'en extraire ou non l'hydrogène une fois arrivé à bon port. Car, pour certains usages, il peut être directement utilisé… On aura juste un problème d'émissions d'azote à régler », explique Cédric Philibert, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (IFRI), ex-analyste de l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE).

L'hydrogène peut aussi être transporté par pipeline à travers l'Europe. L'Allemagne travaille d'ailleurs sur plusieurs projets européens de dorsale d'hydrogène. Une approche fortement appuyée par les gestionnaires d'infrastructures gazières qui y voient un moyen de se maintenir dans un monde où le gaz naturel va perdre progressivement son attrait. « En tant que gestionnaire d'infrastructure en Belgique, nous nous positionnons comme transporteur des molécules de demain, notamment l'hydrogène. Aujourd'hui, nous desservons des clients industriels qui veulent se décarboner et, pour avoir une transition énergétique la plus abordable possible, il faut réutiliser l'infrastructure existante »,estime Rémy Laurent, porte-parole de Fluxys Belgium. Pour le gestionnaire belge, il est certain qu'à long terme l'hydrogène remplacera le gaz naturel, surtout que la Belgique n'en produit pas. Fluxys s'y prépare donc en redessinant son réseau pour connecter les lieux de production et de consommation, sans oublier l'option importation. Les grands sites industriels belges et les ensembles portuaires de la mer du Nord sont au coeur de ce dispositif.

Une stratégie française en ordre de marche

“ On aura la capacité de produire les électrolyseurs en France pour
atteindre l'objectif de 6 400 MW en 2030 ”
Philippe Boucly, France Hydrogène
Cette approche réseau n'est pas une priorité en France. Le pays mise sur une production d'hydrogène locale, par l'électrolyse de l'eau, avec de l'électricité verte ou nucléaire. « La stratégie française prévoit de produire au plus près de la consommation pour éviter de construire des réseaux de transport d'hydrogène. Les réseaux seront peut-être nécessaires, mais d'ici 10 à 15 ans. L'objectif de la stratégie n'est pas de financer des infrastructures réseau, de stockage… On a encore besoin de démonstration sur les questions de sécurité », prévient Lionel Prévors, de la DGEC. Idem pour le stockage : « la stratégie privilégie les usages directs. Il n'y a pas tant d'endroits que ça où stocker l'hydrogène et ce n'est pas si facile. Notre objectif premier est de décarboner l'hydrogène industriel, en développant 6,5 W d'électrolyse par an. Nous faisons le choix de soutenir les producteurs d'hydrogène bas carbone plutôt que les consommateurs », explique le représentant du ministère de la Transition écologique.

L'hexagone a choisi la voie des appels à projets pour mobiliser les acteurs. Selon le dernier bilan du Conseil National de l'Hydrogène de mars 2021, 27 projets de R&D et d'intégration de technologies hydrogène ont d'ores et déjà été soutenus, pour 212 M€ d'investissement total et 37 M€ de soutien public. À ces projets viennent s'ajouter 60 M€ de soutien à la filière aéronautique dans le cadre du CORAC (Comité d'orientation de la recherche pour l'aéronautique civile). Par ailleurs, début 2021, un soutien financier a été annoncé pour aider quatre régions (Occitanie, Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes, Grand-Est) à acquérir 14 trains hydrogène représentant un investissement total de 300 M€.

Une filière industrielle à renforcer

Il y a un point sur lequel s'accordent la France et l'Allemagne : construire une industrie européenne de l'hydrogène. Sous leur impulsion, l'Europe coordonne et finance de gros projets industriels dans le cadre du PIIEC ou Projet Important d'Intérêt Européen Commun. Le dispositif, à l'instar de celui sur les batteries, autorise les États membres à financer les projets au-delà des limites habituellement fixées par la réglementation européenne. Ces projets français représentent un montant total d'aide avoisinant les 8 milliards d'euros et concernent la production d'électrolyseurs, la décarbonation de l'industrie lourde, la production des équipements pour la mobilité.

France Hydrogène a ainsi dénombré quatre projets d'usines en France de fabrication d'électrolyseurs et a identifié des installations d'électrolyse projetées d'une puissance totale de 3,2 GW, soit d'ores et déjà près de 50 % de l'objectif fixé par la stratégie nationale de disposer d'une capacité d'électrolyse sur notre territoire de 6,5 GW en 2030. « Trois projets d'usines de fabrication d'électrolyseurs alcalins verront le jour en 2022, 2024 et 2027. Un projet d'usine de fabrication d'électrolyseurs haute température à oxyde solide est annoncé pour 2027, confirme Philippe Boucly. On aura donc la capacité de produire les électrolyseurs en France pour atteindre l'objectif de 6 400 MW à 2030 », prévient le président de France Hydrogène.

Le Made in France comme leitmotiv

Cette dynamique industrielle naissante donne des ailes. Et Elogen, le fabricant d'électrolyseurs PEM (Proton Exchange Membrane, ou membrane échangeuse de protons), compte bien y participer avec son site de production installé aux Ulis, en Île-de-France. « Nous développons des technologies de pointe pour fabriquer des électrolyseurs de grande capacité destinés à la mobilité, l 'industrie lourde et l'énergie. Nous sommes dans une démarche d'industrialisation de notre production pour augmenter notre cadence et être en mesure de répondre à la demande. La montée en puissance de nos installations est prévue dès cette année », assure Jean-Baptiste Choimet, son directeur général depuis l'arrivée d'Elogen, ex-Areva H2Gen, dans le gironde l'entreprise GTT en octobre 2020. « Il était beaucoup question d'hydrogène ces dernières années, mais tout le monde attendait le décollage annoncé. L'année 2020 a été marquée par une prise de conscience que l'hydrogène est une brique fondamentale de la transition énergétique », note M. Choimet.

Chez McPhy, un fabricant d'électolyseurs alcalins, on s'enthousiasme également : « Les feuilles de route mises en place par les États européens sont ambitieuses. On va bénéficier d'un soutien public massif qui va nous permettre de concrétiser nos ambitions », commente Laurent Carme, directeur général de McPhy. Le fabricant d'électrolyseurs et de stations de ravitaillement en hydrogène pour la mobilité prévoit de renforcer son site français de fabrication de stations installé dans la Drôme et d'ouvrir une usine d'électrolyseurs en France en 2024, pour une capacité de production de 1GW. Le groupe a annoncé le 20 mai avoir présélectionné le site de Belfort pour y construire sa Gigafactory.

Autre technologie, autre acteur. La société Genvia, récemment créée par Schlumberger New Energy, le CEA et leurs partenaires Vinci Construction, Vicat et l'Agence régionale énergie climat (Arec) Occitanie, prévoient d'industrialiser une technologie mise au point par le CEA. Ses électrolyseurs haute température à oxyde solide seraient fabriqués près de Béziers (Hérault).

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