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Sobriété : « Les efforts individuels n'ont de sens que si on développe des solutions structurelles »

En misant sur les efforts individuels, le plan de sobriété ne permettra pas de changer durablement les pratiques. Seuls un changement de modèle économique et l'essor d'une culture de l'énergie y parviendraient, estime la sociologue Marie-Christine Zélem.

Interview  |  Energie  |    |  S. Fabrégat
Actu-Environnement le Mensuel N°434
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°434
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Sobriété : « Les efforts individuels n'ont de sens que si on développe des solutions structurelles »
Marie-Christine Zélem
Sociologue et professeur de sociologie à l'université fédérale de Toulouse
   

Actu-Environnement : Quelques mois après le lancement du plan de sobriété, quelles leçons en tirez-vous ?

Marie-Christine Zélem : Ce plan se trompe quelque peu de méthodologie et de cible. Le plan de sobriété est fondé sur deux dispositifs qui manquent tous deux de pédagogie : « Chaque geste compte » et Ecowatt. Ecowatt fonctionne sur le mode automatique, comme les feux rouges : si c'est vert, je continue de consommer ; si c'est rouge, j'arrête, sans véritable réflexion. Les écogestes sont déculpabilisants.

A l'échelle « micro », ce plan s'adresse aux individus, aux commerces, aux entreprises… À une autre échelle, le Gouvernement active un bouclier tarifaire qui compense les coûts de la hausse des prix de l'énergie. Il ne s'inscrit donc pas dans une logique de changement de pratiques. Et enfin, à l'échelle « macro », le Gouvernement relance le plan nucléaire, ce qui envoie un message contradictoire : le retour à l'abondance et à l'électricité pas chère. Le « Faites attention à vos consommations » s'inscrit donc dans une période donnée, le temps que la crise énergétique, qui n'en est pas vraiment une, soit passée. On voit bien, dans ces premiers éléments, qu'il y a quelque chose qui ne va pas. L'ambition de pérennité est disqualifiée. La sobriété n'est pas vendue comme désirable mais comme contrainte. Elle est supportable parce qu'il est dit qu'elle ne va pas durer longtemps. Elle contribue peu au changement en profondeur des modes de consommation. Cette sobriété assimilée à un inconfort généralisé ne peut pas être pérenne.

AE : Avec parfois un sentiment d'injustice car tous les Français ne sont pas égaux face à la maîtrise de l'énergie…

MCZ : Le message du Gouvernement a été général, il s'adresse à tous. Alors que l'on sait que 10 à 20 % de la population représentent la plus grosse part de la consommation énergétique et que, financièrement parlant, ces personnes n'ont aucun problème à payer leurs factures énergétiques... Ce sont ces 10 à 20 % qui auraient dû être ciblés par le plan de sobriété. En parallèle, on a tendance à montrer du doigt les précaires énergétiques ou les locataires qui sont captifs d'un système et n'ont pas les moyens d'agir. On devrait appréhender ce problème d'une manière différente, en ciblant les propriétaires qui ne rénovent pas les logements qu'ils mettent en location et qui sont, à la limite, plutôt protégés aujourd'hui. En l'état, le plan de sobriété fait totalement abstraction de la diversité sociale.

AE : Comment changer de paradigme pour que la sobriété ne soit plus vue comme un effort, une régression ?

MCZ : En France, on entretient l'idée que l'énergie est abondante et peu chère. On fait de nous des illettrés énergétiques. Il faudrait au contraire expliquer ce qu'est l'énergie, comment elle est produite, les impacts de l'extraction des ressources… La plupart des gens sont incapables de donner le prix d'un kilowattheure ou de savoir quels équipements consomment le plus dans leur logement. À cela s'ajoute le caractère immatériel de l'énergie. On rencontre la même problématique avec la production de déchets ou la consommation d'eau. Or, tant que l'eau, l'énergie ou le traitement des déchets n'ont pas de valeur, on continue de consommer as usual comme dans une société d'abondance, et on va vers des chocs de plus en plus difficiles à absorber.

Les pouvoirs publics entretiennent un modèle économique, une société du gaspillage dans lesquels le consommateur n'est qu'une variable d'ajustement. Les actions conduites à l'échelle individuelle restent donc périphériques. Les écogestes, c'est un peu comme « pisser sous la douche », ça ne change ni le marché ni les modes de vie. Peut-on vraiment atteindre la sobriété en continuant à vendre des voitures diesel, des SUV ou des réfrigérateurs américains ? Ne faudrait-il pas plutôt raisonner en termes de besoins : a-t-on réellement besoin de tous ces appareils, de produire autant de choses ?

AE : Et concrètement, quels outils faudrait-il mettre en place ?

MCZ : Pour les déchets par exemple, la tarification incitative vise à faire prendre conscience aux ménages ce qu'ils consomment et ce qu'ils jettent. Sur l'énergie, au contraire, jusqu'à présent, les plus gros consommateurs étaient plutôt incités à consommer davantage avec un prix du kilowattheure dégressif. Il serait temps de changer de paradigme : l'énergie est un service public, chacun devrait avoir droit à un quota dont il pourrait disposer et au-delà, il pourrait soit payer plus, soit accepter de se limiter. L'effet devrait être radical, comme avec les forfaits téléphoniques ou les cartes prépayées. D'ailleurs, le système de cartes prépayées pour l'énergie existe dans certains pays du Sud où l'énergie n'est pas abondante. Une idée à exploiter : se baser sur des consommateurs avertis et jouer en même temps sur l'efficacité énergétique.

Cela devrait passer par des décisions structurelles comme réviser l'architecture de l'offre. Ainsi, au lieu d'inciter à choisir entre une voiture thermique et une voiture électrique, donc entre une voiture et une voiture, les pouvoirs publics devraient développer l'offre de transports en commun pour donner envie de se déplacer autrement. On reste donc sur le modèle de la mobilité individuelle et on embarque toute une société de manière durable vers une dépendance totale à l'énergie.

A contrario, on va dans le sens de la sobriété avec la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE), qui doivent s'accompagner d'une offre alternative à la voiture : des transports en commun de qualité… Cela passe aussi par l'aménagement du territoire, la restructuration de l'espace… Demander à chacun de faire de petits efforts n'a de sens qui si, dans le même temps, on développe des solutions structurelles impactantes. Dans le plan de sobriété, avec le bouclier tarifaire et les dispositifs comme Ecowatt, on n'est pas vraiment dans le réflexif, on ne travaille pas sur la culture de l'« attention énergétique », ni sur les apprentissages. On laisse les gens dans des modes de fonctionnement automatiques et on les infantilise au regard de l'énergie.

AE : Est-ce pour cette raison que les opérations d'efficacité ou de rénovation énergétique s'accompagnent souvent d'un effet rebond des consommations ?

MCZ : Effectivement ! On passe par des solutions techniques sans mettre en place les apprentissages sur les conséquences des consommations énergétiques. On enferme les gens dans l'imaginaire du solutionnisme technique, sans jouer sur la montée en compétences des individus. En plus, avec le bouclier tarifaire, le gouvernement est protecteur. Son message est rassurant : « Ne vous inquiétez pas, on va trouver de nouveaux approvisionnements, de nouvelles solutions techniques et vous pourrez continuer dans l'ébriété énergétique. »

En parallèle, on met en place des mesures sans former tous les acteurs qui ont la charge et la responsabilité de faire comprendre le sens et les enjeux du changement aux consommateurs : les professionnels du bâtiment, les architectes, les acteurs de la distribution, mais aussi les formateurs, les instituteurs, les professeurs… Or, tant que ces acteurs ne sont pas formés, ils ne peuvent pas être des pédagogues en matière de sobriété énergétique. Il s'agit de citoyenneté énergétique. Or, pour être citoyen, pour être acteur, il faut accéder à des compétences, sortir de toutes les formes d'illettrisme.

Réactions6 réactions à cet article

Bonjour, je voudrais juste réagir sur les transports en commun, car il y a des zones, trop peu denses, qu'on n'arrivera jamais à bien desservir. Le problème, c'est le mitage urbain, la périurbanisation. Là aussi, les habitants devraient payer le vrai coût de ce confort qui est la maison avec le jardin. Et, cela fait 30 ans qu'on le dit mais il ne faut densifier que le long des axes de transports en commun.

coco38 | 23 février 2023 à 09h44 Signaler un contenu inapproprié

et dans les régions du sud interdire toute construction proche ou même,(ça existe encore!),dans les forêts qui obligent les secours à négliger les espaces naturels pour défendre les maisons en priorité

MNM | 23 février 2023 à 12h27 Signaler un contenu inapproprié

Les changements sociaux prennent du temps, et l'homo sapiens est un prédateur, la société de consommation étant le but ultime.
Le frein actuel est l'augmentation des prix et services, et donc, comme disait un écrivain russe du temps des soviets, on devient végétarien par nécessité. Les phénomènes naturels comme la sècheresse en France vont encore modifier les données. Les menaces de guerre aussi.
En fait, les modifications de comportement social s'imposent à nous. Restons modestes sur les plans...

28plouki | 23 février 2023 à 12h50 Signaler un contenu inapproprié

Saluons les réflexions pleines de bon sens de cette sociologue. Il est quand même sidérant et très significatif que nos gouvernants ont choisi, depuis 30 ans, malgré les rapports des scientifiques et la sensibilité de plus en plus grande des citoyens aux conséquences du réchauffement climatique et à l'effondrement de la biodiversité, de continuer dans la voie de la consommation à outrance des ressources naturelles et énergétiques. Au profit de qui ? au seul profit des grands groupes et des privilégiés sur la terre entière, qui devraient pourtant apporter la plus grande contribution à l'effort collectif de décarbonation de l'économie.

mangouste | 23 février 2023 à 14h37 Signaler un contenu inapproprié

Il est dommage qu'elle n'allie pas le geste à la parole. Quid des pollutions et de la consommation électrique, eau etc. pour les bijoux, le maquillage... A t on réellement besoin de ces produits?

Loïc | 24 février 2023 à 09h22 Signaler un contenu inapproprié

mangouste, parce que l'Etat serait moins prédateur que les entreprises privées ?
Cela reste entièrement à démontrer: regardez la différence entre le "brut" et le "net" sur votre fiche de paye, vous verrez que le plus grand prédateur c'est bien l'Etat.
Pour moi, aucune confiance dans l'Etat pour "sauver la planète" car l'environnement est devenu le prétexte pour encore augmenter son action néfaste.
Sincères salutations.

Albatros | 24 février 2023 à 15h51 Signaler un contenu inapproprié

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