Le Conseil économique et social (Cese) examinait mardi 13 mars le projet d'avis élaboré pas sa section de l'environnement, intitulé "De la gestion préventive des risques environnementaux : la sécurité des plateformes pétrolières en mer". Un travail qui a permis d'établir un constat de la situation de l'exploitation pétrolière en mer et de ses perspectives, et surtout de formuler des propositions pour améliorer la prévention des risques qui y sont liés.
"Ce sujet révèle combien nous sommes là au cœur d'enjeux stratégiques, économiques, environnementaux et sociaux", constate Anne-Marie Ducroux, présidente de la section de l'environnement du Cese. "La France, forte de l'expérience de ses opérateurs industriels, de son espace maritime unique, pourrait prendre un rôle de premier plan dans la discussion européenne qui s'ouvre et plus largement dans les réflexions sur la gouvernance de la haute mer", ajoute-t-elle.
L'offshore en progression constante
La part de l'offshore ne cesse d'augmenter jusqu'à représenter aujourd'hui 35% de la production mondiale de pétrole. "Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), l'offshore devrait représenter en 2015 la moitié des nouvelles productions de pétrole", précisent Jacques Beall et Alain Feretti, corapporteurs du projet d'avis.
Bien qu'elle ne compte pour l'instant aucune plateforme en exploitation dans sa zone de souveraineté, la France avec ses 11 millions de km2 d'espace maritime, dispose "d'un fort potentiel d'exploitation offshore". Comme le montrent la récente découverte de gisements prometteurs en Guyane et les perspectives d'exploitation en Méditerranée.
Pourtant, l'exploration et l'exploitation pétrolières en mer ne vont pas sans risque comme le prouvent la douzaine d'accidents majeurs survenus depuis 1976. Et en particulier l'emblématique accident de Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique, dont le bilan s'établit à 11 disparus, 17 blessés, 780.000 m3 de pétrole rejetés, et un coût global pour la compagnie BP estimé entre 31 et 48 milliards de dollars pour couvrir notamment l'indemnisation des plaignants, le coût de l'endiguement et du nettoyage de la marée noire, et le montant des amendes.
Même si des progrès ont été réalisés dans la gestion des risques liés à ces activités, notamment par les retours d'expérience sur de telles catastrophes, l'exploitation des champs pétrolifères se fait de plus en plus loin en mer, et de plus en plus profond (jusqu'à 3.000 mètres de profondeur). Ce qui représente des risques pour les personnels et pour l'environnement.
Un cadre juridique complexe, incomplet et ambigu
"Nous sommes aujourd'hui face à un cadre juridique complexe, incomplet et ambigu", constatent Jacques Beall et Alain Feretti. "Une des questions fondamentales concerne le statut des plateformes : il n'existe aucune réglementation internationale spécifique à l'activité offshore".
Aussi, la commission environnement du Cese préconise-t-elle l'adoption d'une convention globale sur l'offshore, l'extension des conventions CLC/FIPOL aux plateformes en rendant la responsabilité illimitée en cas de faute inexcusable et en prenant en compte le "dommage écologique pur". De même que la ratification par la France du protocole offshore de la convention de Barcelone.
Au niveau de l'Union européenne, un projet de règlement a été élaboré mais il ne devrait pas voir le jour avant deux ans. En France, le code minier est en cours de refonte.
"Le développement des activités offshore nécessite un cadre moderne et adapté", soulignent les auteurs du rapport, qui préconisent de rapprocher les pratiques des codes de l'environnement et du code minier. "Il faut appliquer aux plateformes pétrolières un niveau d'exigence au moins comparable à celui des ICPE", précise Jacques Beall.
Les auteurs réclament également une séparation des fonctions d'autorisation et de contrôle au sein des services de l'Etat. Tout en s'assurant que ses moyens ne soient pas diminués, ce qui pourrait passer par la mise en place d'instruments fiscaux.
"La couverture financière des risques reste une question cruciale : le marché des assurances ne semble pas actuellement en mesure de couvrir les risques des plus gros accidents. Un des enjeux principaux sera de clarifier la responsabilité de l'opérateur et des ses prestataires", soulignent Jacques Beall et Alain Feretti.
Prendre en compte les préoccupations environnementales et améliorer la concertation
Les auteurs du rapport demandent également à ce que les préoccupations environnementales soient bien prises en compte lors de l'instruction des demandes, seuls les critères techniques et financiers étant principalement examinés aujourd'hui.
"L'exploitation de ces ressources doit s'accompagner d'une réelle prise en compte des richesses environnementales : l'objectif de ce projet d'avis est d'éclairer les pouvoirs publics sur les risques environnementaux auxquels pourrait nous exposer une exploitation des potentialités des fonds marins, en France comme à l'international", précisent ses auteurs.
Cela passe par une mise à disposition des données scientifiques, permettant une clarification des enjeux et leur appropriation par les acteurs et les populations concernées. "Actuellement, la participation du public n'est pas correctement prise en compte", déplore Alain Feretti, notamment les exigences de la Charte de l'environnement (14046) et de la
Pour cela, les rapporteurs préconisent "une nouvelle culture de la concertation", permettant "d'éviter la défiance" et présentant aussi l'avantage pour les exploitants d'une "plus grande sécurité juridique". Cela passe par une concertation régionale, le développement des enquêtes publiques et la transparence des opérations tout au long du cycle de vie.
Renforcer le rôle des CHSCT
Se pose aussi la question de la sécurité des personnels sur les plateformes, sachant que la sous-traitance est la règle dans ce secteur. Pour l'améliorer, Jacques Beall et Alain Feretti suggèrent de renforcer le rôle des CHSCT (1) . L'analyse de l'accidentologie montre que les principales causes d'accidents sont des défaillances humaines ou des chaînes de commandement inefficaces. D'où l'importance des formations à la sécurité des personnels et des exercices de sécurité.
De même que de l'anticipation dans la gestion des crises en cas d'accidents majeurs, notamment par l'évaluation et les tests des plans d'intervention d'urgence, en veillant à leur interopérabilité.
En tout état de cause, le coût des moyens de prévention mis en place se révèlera toujours inférieur à celui d'une réparation d'une catastrophe du type Deepwater, qui, comme on l'a vu, se chiffre en plusieurs dizaines de milliards de dollars.