La baisse des "niveaux de particules fines dans l'air des villes européennes entraînerait un bénéfice non négligeable en termes d'augmentation de l'espérance de vie et de réduction des coûts pour la santé." Telle est la principale conclusion du bilan dressé par le projet Aphekom. Plus de 60 chercheurs ont évalué, de juillet 2008 à mars 2011, l'impact sanitaire des particules fines PM2,5 sur l'espérance de vie des habitants de 25 grandes villes européennes rassemblant 39 millions d'habitants dans 12 pays européens. Une étude européenne coordonnée par l'Institut de veille sanitaire (INVS).
Plus précisément, les chercheurs jugent que "l'espérance de vie pourrait augmenter jusqu'à 22 mois pour les personnes âgées de 30 ans et plus (en fonction de la ville et du niveau moyen de pollution), si les niveaux moyens annuels de particules fines PM2,5 étaient ramenés au seuil de 10 microgrammes par mètre cube [µg/m3], valeur guide préconisée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS)." Les chercheurs ont évalué que le dépassement de ce seuil dans les villes étudiées entraîne 19.000 décès par an, dont 15.000 liés à des affections cardiovasculaires.
Quant à la réduction des coûts pour la collectivité, l'étude précise que "le respect de cette valeur guide se traduirait par un bénéfice d'environ 31,5 milliards d'euros." Il s'agit notamment d'une baisse des dépenses de santé, d'une réduction de l'absentéisme, et des coûts associés à la perte de bien-être, de qualité et d'espérance de vie.
Seule la ville de Stockholm respecte la norme OMS
Le résultat de l'étude est sans appel : avec un niveau annuel moyen de 9,4 µg/m3, seule la ville de Stockholm (Suède) respecte le seuil établi par l'OMS en matière de PM2,5. Les niveaux constatés dans les autres villes étudiées s'envolent jusqu'à 38,2 µg/m3 pour la ville de Bucarest (Roumanie).
Par ailleurs, l'étude évalue le gain, exprimé en espérance de vie pour les habitants de plus de 30 ans, associé à une réduction des concentrations de particules fines jusqu'au seuil de l'OMS. Si le gain est nul pour Stockholm, le seuil OMS étant respecté, il serait de 22,1 mois pour les habitants de Bucarest.
Quant aux neuf villes françaises étudiées, Toulouse obtient le meilleur résultat avec un niveau de 14,2 µg/m3 et un gain potentiel de 3,6 mois d'espérance de vie. La ville la moins bien classée est Marseille avec 18,5 µg/m3 et une amélioration possible de la durée de vie de 7,5 mois. Bordeaux, Strasbourg, Lyon, Paris et Lille ont des résultats relativement proches avec des niveaux compris entre 15,7 µg/m3 (Bordeaux) et 16,6 µg/m3 (Lille).
Mieux vaut habiter à l'écart du trafic routier
Le second enseignement de l'étude concerne la répartition géographique de la pollution dans une même ville et le risque plus ou moins importants de certaines zones. Sans grande surprise, l'étude conclut qu'"habiter à proximité du trafic routier augmente sensiblement la morbidité attribuable à la pollution atmosphérique."
En particulier, la proximité avec le trafic routier important, c'est-à-dire plus de 10.000 véhicules par jour, accroît le développement de pathologies chroniques. Ainsi, l'étude Aphekom estime que "dans 10 villes européennes, le fait d'habiter à proximité du trafic routier pourrait être responsable d'environ 15 % des asthmes de l'enfant." De même, "des proportions similaires ou plus élevées de pathologies chroniques respiratoires et cardio-vasculaires fréquentes [pourraient être retrouvées] chez les adultes de 65 ans et plus habitant à proximité du trafic." Deux des affections considérées par l'étude sont les maladies coronariennes et la maladie pulmonaire obstructive chronique. S'agissant du surcoût, il s'établirait à 300 millions d'euros par an selon l'étude.
Vers un renforcement de la législation européenne ?
L'objectif de l'étude Aphekom n'est pas uniquement de mettre en avant le lien entre la pollution aux particules fines et la santé des populations concernées par cette pollution. Elle vise avant tout à "améliorer le savoir et la communication à destination des décideurs", alors qu'en 2013 l'Union européenne entend réviser les seuils de pollution aux particules.
Dans ce contexte, l'étude a cherché à évaluer les résultats de certaines législations européennes traitant de la qualité de l'air, et en particulier celle instaurant une réduction des niveaux de soufre dans les carburants. Les chercheurs concluent que cette réglementation "s'est traduite par une diminution marquée et pérenne des niveaux de dioxyde de soufre (SO2) dans l'air ambiant." Ils évaluent à 2.200 le nombre de décès prématurés évités dans 20 villes étudiées depuis l'application de la réglementation. Des décès, qui, s'ils avaient eu lieu, auraient entraîné un surcoût de 192 millions d'euros.
En conclusion, les chercheurs jugent que "l'ensemble de ces résultats souligne que la promulgation et la mise en oeuvre de réglementations efficaces dans le domaine de la pollution atmosphérique se concrétisent par des bénéfices sanitaires et monétaires importants." Des résultats qualifiés de "particulièrement pertinents" quand depuis 2005 certains Etats membres ne respectent pas les seuils européens de pollution atmosphérique.
Les surcoûts justifient une réduction de la pollution
Pour France nature environnement (FNE), ces résultats "sont sans appel" et "pour la première fois, [un] programme caractérise une morbidité induite importante." L'ONG insiste en particulier sur l'aspect économique de l'étude qui "doit être impérativement pris en compte dès à présent, dans les divers projets d'aménagement et l'ensemble des politiques publiques." FNE milite en particulier pour le développement des transports publics et du fret comme substituts à la voiture et au transport routier de marchandises.
Quant aux médecins de l'Association santé environnement France, ils regrettent qu'"aujourd'hui encore l'impact des aménagements urbains sur la santé n'est pas pris en compte par les plans d'urbanisme." En particulier cela "signifie qu'on construit encore aujourd'hui des écoles aux abords des autoroutes" alors "que le trafic automobile est à l'origine de 15 % de l'asthme chez l'enfant." Et de déplorer que "comme d'habitude, on ne consulte [les médecins] que pour guérir, jamais pour prévenir, la santé [n'étant pas] prise en compte dans nos politiques publiques."