Le contentieux n'était pas terminé et l'État en fait de nouveau les frais. Par une décision rendue lundi 17 octobre, le Conseil d'État condamne ce dernier à payer deux astreintes de 10 millions d'euros (M€) chacune, après celle infligée en août 2021. La raison ? La poursuite du dépassement des seuils limites de pollution au dioxyde d'azote (NO2) fixés par la directive européenne sur la qualité de l'air dans plusieurs zones en France, dont les agglomérations de Paris, Lyon et Marseille.
Ce contentieux avait été engagé par Les Amis de la Terre. L'ONG, accompagnée de plusieurs autres associations, avait obtenu, en juillet 2017, de la plus Haute Juridiction administrative qu'elle enjoigne au gouvernement de mettre en œuvre des plans pour réduire les concentrations en NOx et en particules fines (PM10) dans treize zones en France. Ce dernier n'ayant pas pris les mesures exigées dans huit d'entre elles, elle lui avait, en juillet 2020, demandé d'agir dans un délai de six mois sous peine d'une astreinte de 10 M€ par semestre de retard. Le gouvernement n'étant pas parvenu à se mettre en conformité dans le délai fixé pour cinq zones, le Conseil d'État avait ordonné, en août 2021, la liquidation provisoire de l'astreinte. C'est-à-dire qu'il avait ordonné le paiement de cette somme pour le premier semestre de retard, courant de janvier à juillet 2021.
L'histoire n'était pas terminée, puisque la Haute Juridiction avait indiqué qu'elle évaluerait les actions du gouvernement pour le second semestre de l'année 2021, afin de savoir si l'État devait verser une nouvelle astreinte et, dans l'affirmative, si cellle-ci devait être majorée ou minorée.
Dépassement de la concentration en dioxyde d'azote
Avec cette nouvelle décision, le Conseil d'État relève que les agglomérations de Lyon, Paris, Aix-Marseille, ainsi que Toulouse, présentent encore un dépassement de la concentration maximale en NO2 sur la période considérée. En revanche, l'agglomération de Paris ne présente plus de dépassement s'agissant des taux de concentration en PM10. Compte tenu des dépassements encore constatés, le juge administratif a examiné si le gouvernement avait pris les mesures qui s'imposaient depuis la première condamnation.
Le ministre de la Transition écologique a fait valoir les différentes mesures mises en œuvre dans le domaine des transports : aide à l'acquisition de véhicules moins polluants, accompagnement des mobilités douces, déploiement de bornes de recharge électrique. Mais aussi dans le secteur du bâtiment : interdiction d'installation de nouvelles chaudières au fioul ou à charbon. « Toutefois, s'il peut être raisonnablement attendu des effets positifs de telles mesures sur les niveaux de concentration en dioxyde d'azote dans l'air ambiant, les incidences concrètes de ces mesures générales, valables pour l'ensemble du territoire national, ne sont pas déterminées pour les zones présentant encore des dépassements des valeurs limites », relève la décision.
Le gouvernement a également mis en avant le développement des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), notamment l'extension, par la loi Climat et résilience, de leur instauration à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants avant fin 2024. « Toutefois, si l'instauration de ces ZFE-m peut conduire à l'adoption de mesures visant à restreindre la circulation des véhicules les plus polluants avec, en conséquence, une baisse attendue des niveaux de concentration en dioxyde d'azote qui peut être significative, le calendrier de mise en œuvre obligatoire de ces restrictions de circulation demeure très étalé dans le temps et leur généralisation à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants ne concerne pas les zones présentant des dépassements des valeurs limites », constate le Conseil d'État. Dans certaines zones, ce dernier relève même qu'aucune mesure nouvelle n'a été mise en œuvre (Paris et Lyon), voire constate même un décalage dans le temps des restrictions de circulation des véhicules les plus polluants (Paris). Pour l'agglomération de Toulouse, la mise en place de la ZFE ne date que de février 2022, et celle d'Aix-Marseille que de septembre dernier.
« Lutter contre la pollution de l'air est pourtant une mesure sociale essentielle, puisque les personnes les plus vulnérables sont les plus exposées à la pollution, font remarquer Les Amis de la Terre. En effet, si le nombre de morts prématurées imputables à la pollution de l'air s'élève à environ 100 000 par an, les enfants sont les premières victimes des effets des polluants dans l'air. Il est d'ailleurs prouvé que la mise en place de zones de faibles émissions (ZFE) diminue les pathologies chez les enfants. »
Enfin, le Conseil d'État constate que si des procédures de révision de plusieurs plans de protection de l'atmosphère (PPA) ont été récemment engagées ou sont en voie de l'être, l'objectif de respect des seuils limites demeure très éloigné, et aucun élément ne permet de considérer les délais de mise en conformité comme étant les plus courts possibles.
« Décision malheureusement prévisible »
« Si les différentes mesures mises en avant par le ministre devraient permettre de poursuivre l'amélioration de la situation constatée à ce jour par rapport à 2019, les éléments produits ne permettent pas d'établir que [leurs] effets permettront de ramener, dans le délai le plus court possible, les niveaux de concentration en dioxyde d'azote en deçà des valeurs limites » pour les agglomérations d'Aix-Marseille, Lyon, Paris et Toulouse, conclut le Conseil d'État. Estimant qu'il n'y avait lieu ni de minorer ni de majorer l'astreinte, compte tenu de la durée du dépassement, mais aussi des améliorations constatées, ce dernier procède de nouveau à la liquidation provisoire de l'astreinte pour la période juillet 2021–juillet 2022, pour un montant de 20 M€.
Comme il l'avait fait lors de la première liquidation et afin d'éviter un enrichissement indu, le juge administratif condamne l'État à verser 50 000 euros aux Amis de la Terre, et le reste de la somme à des organismes menant des actions de lutte contre la pollution de l'air et d'amélioration de sa qualité :
- 5,95 M€ à l'Agence de la transition écologique (Ademe),
- 5 M€ au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema),
- 4 M€ à l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses),
- 2 M€ à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris),
- 1 M€ à chacune aux associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa) compétentes dans les zones de Paris (Airparif) et Lyon (Atmo Auvergne-Rhône-Alpes),
- 500 000 euros à chacune des Aasqa compétentes dans les zones d'Aix-Marseille (Atmo Sud) et Toulouse (Atmo Occitanie).
« Cette décision était malheureusement prévisible ; l'État se montre en réalité récalcitrant et n'a pas souhaité se conformer aussi rapidement que possible à la décision obtenue il y a plus de cinq ans », réagit Louis Cofflard, avocat des associations requérantes, après la lecture de la décision. « La semaine prochaine, je réunirai les présidents des métropoles concernées par les zones à faibles émissions mobilités », annonce de son côté le ministre de la Transition écologique sur Twitter. « Malgré une nette amélioration de la qualité de l'air, la décision du Conseil d'État nous rappelle l'urgence à agir pour réduire la pollution atmosphérique en France », ajoute Christophe Béchu.
Car l'histoire n'est potentiellement pas terminée : l'épée de Damoclès reste suspendue au-dessus de la tête du gouvernement. En effet, le Conseil d'État réexaminera en 2023 les actions menées par ce dernier sur la période juillet 2022 – janvier 2023.