Le ministère de l'Ecologie s'apprête à publier un arrêté établissant le classement des véhicules en fonction de leurs émissions polluantes. S'il n'était pas réécrit, le texte rendrait impossible la poursuite de la mise en place de la zone à circulation restreinte (ZCR) annoncée par la Mairie de Paris début 2015 et lancée en juillet de la même année.
D'autres collectivités, telles que Grenoble (38) et Strasbourg (67), seraient probablement contraintes de renoncer elles aussi à établir des ZCR. Les deux villes s'étaient portées volontaires pour tester l'étiquetage des voitures en fonction de leur pollution.
Interrogé, le cabinet de Ségolène Royal n'a pas souhaité répondre.
Une mise en œuvre progressive
Depuis septembre 2015, le plan est entré en application et les autobus, autocars et poids-lourds immatriculés avant le 1er octobre 2001 sont interdits dans Paris de 8h à 20h. A partir du 1er juillet 2016, l'interdiction doit être étendue aux deux-roues immatriculés avant le 1er septembre 2000 (norme Euro 0), aux voitures immatriculées avant le 1er janvier 1997 (Euro 0 et Euro 1), aux camionnettes immatriculées avant le 1er octobre 1997 (Euro 0 et Euro 1) et aux poids lourds, autobus et autocars immatriculés avant le 1er octobre 2001 (Euro 0, Euro 1 et Euro 2). Le dispositif doit ensuite être étendu progressivement entre 2017 et 2020, notamment pour limiter la circulation des voitures Euro 2, puis Euro 3.
Pour remédier à ce problème, les villes intéressées demande à pouvoir utiliser le contrôle par lecture automatique des plaques d'immatriculation. En croisant ces données avec le fichier des cartes grises (le document précise la date de première immatriculation) le contrôle est simplifié. Mieux, il n'est plus nécessaire d'identifier les voitures avec une vignette…
En février 2013, le gouvernement avait lancé une étude relative à l'identification des véhicules les plus polluants. Le rapport, rendu en décembre 2013, recommandait deux technologies disponibles : des puces de radio-identification (RFID) appliquées sur les vignettes d'assurance ou la lecture automatique des plaques. Il est resté lettre morte.
Ecologie punitive ?
Le projet d'arrêté, actuellement soumis à consultation, interdit toute progressivité en classant le tiers des véhicules les plus anciens dans une seule et même catégorie : les voitures diesel de norme Euro 0, 1, 2 et 3 (soit toutes celles immatriculées avant janvier 2006) figurent dans la catégorie "non classées", dispensées de vignette "Crit'air". En effet, le texte doit permettre de signaler les véhicules vertueux sans pointer les plus polluants. L'arrêté de 2012, sur lequel s'appuient les collectivités qui préparent une ZCR, classe ces voitures diesel dans trois catégories : 1* pour les Euro 0 et Euro 1 (immatriculées avant janvier 1997), 2* pour les Euro 2 (entre janvier 1997 et janvier 2001) et 3* pour les Euro 3 (entre janvier 2001 et janvier 2006). A l'époque, la progressivité de l'interdiction des véhicules les plus polluants avait été privilégiée, inspirée par les quelque 200 villes européennes qui appliquent déjà une telle stratégie.
Réduire de trois à une catégorie l'ensemble des voitures diesel immatriculées avant janvier 2006 change radicalement la situation pour les collectivités. "La nomenclature progressive de 2012 nous satisfait tout à fait", explique Christophe Najdovski, maire-adjoint de Paris chargé des transports, déplorant que "le projets d'arrêté bouleverse les choses et ne nous aide pas à mettre en place la ZCR". La Mairie de Paris compte d'ailleurs faire part de ses remarques dans le cadre de la consultation publique. Selon un rapport de Gérard Miquel, sénateur socialiste du Lot, le parc de voitures diesel comporte 1,44 million de véhicules Euro 0 et 1 (soit 4,6% de l'ensemble des voitures en circulation), 2,46 millions d'Euro 2 (7,8%) et 4,78 millions d'Euro 3 (15,1%). Si l'on ajoute les 2 millions de voitures essence Euro 0 et 1 (6,4%), qui, dans le projet d'arrêté, appartiennent à la catégorie des voitures "non classées", plus de 10 millions de véhicules seraient dispensés de vignettes sans que l'on puisse distinguer leur niveau de pollution. Globalement, cela correspond à 33,8% des voitures françaises, alors que le plan parisien vise, dans un premier temps, trois fois moins de véhicules (11% du parc automobile). "La ministre ne veut pas faire d'écologie punitive, mais avec ce classement elle nous oblige à interdire d'emblée un tiers du parc automobile, la marche est très haute", regrette Christophe Najdovski. Dans ces conditions, "les ZCR ne seront pas acceptées par les citoyens".
Retour à la pastille verte
Initialement, en juin 2015, Ségolène Royal avait présenté une nouvelle classification qui maintenait les trois catégories actuelles pour les véhicules les plus polluants. Ce n'est qu'en septembre qu'est apparue la nouvelle classification qui regroupe l'ensemble des véhicules immatriculés avant 2006. "Les certificats les plus polluants ne seront pas mis en circulation : ça ne sert à rien de stigmatiser", justifiait alors la ministre de l'Ecologie. De fait, le projet de Ségolène Royal reprend le principe de la "pastille verte" qui identifiait les voitures les plus récentes afin de les autoriser à circuler lors des pics de pollution. Ce dispositif, lancé en 1998 par le gouvernement Jospin, avait été abandonné en 2003 et définitivement aboli par la règlementantion encadrant les Zapa qui préfiguraient les zones à circulation resteinte. D'ailleurs, l'élu parisien juge que les pastilles Crit'air, telles qu'elles sont envisagées dans le projet d'arrêté, "sont très utiles lors des pics de pollution puisqu'elles permettent de sortir de l'arbitraire de la circulation alternée". Il y voit une incitation au renouvellement du parc automobile.
En juin et en octobre dernier, la maire de Paris Anne Hidalgo a écrit à Ségolène Royal pour lui faire part de ses inquiétudes concernant le retard pris par les textes d'application du dispositif des ZCR et la nouvelle classification. Apparement, ces lettres sont restées sans réponse.
Les constructeurs opposés au projet d'arrêté ?
Si l'arrêté devait être promulgué sans modification, la mise en place d'une zone à circulation restreinte représenterait une contrainte inacceptable pour les collectivités, ces dernières ne pouvant graduer dans le temps et l'espace la mise en œuvre des ZCR. Par ailleurs, le projet d'arrêté sonne le glas du projet parisien qui devrait être revu de fond en comble : remise en cause de la progressivité et abandon de l'interdiction actuelle concernant les poids lourds.
Les élus s'inquiètent en particulier du risque social attaché à une telle classification, car les véhicules de plus de dix ans appartiennent principalement aux foyers les plus modestes. Comment mettre en œuvre une telle mesure sans créer de discriminations majeures ? Si l'aspect social l'emporte, la mesure devient inapplicable. De même, comment différencier les secteurs pour appliquer une interdiction plus forte sur le périmètre le plus pollué d'une ZCR ? Là encore, le projet d'arrêté rend cette stratégie inapplicable.
La Mairie de Paris n'est pas la seule collectivité en désaccord avec le projet d'arrêté. Les élus réunis au sein du Groupement des autorités responsables de transport (Gart), regrettent eux-aussi la réduction du nombre de catégories de véhicules qui interdit une mise en œuvre progressive des ZCR. Le Gart a également écrit à Ségolène Royal pour l'alerter sur ce point. Les craintes sont similaires du côté des professionnels du transport de marchandise.
Enfin, même les constructeurs de voitures semblent opposés au nouveau dispositif envisagé par l'Etat. Idéalement, le Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA) considère que "le système le plus simple est le meilleur". Mais la simplicité ne doit pas être privilégié au détriment des critères sociaux. Alerté sur le fait qu'un système à quatre catégories serait virtuellement inapplicable, François Roudier, directeur de la communication du CCFA explique que, dans ces conditions, "repasser à six catégories serait une bonne chose pour ne pas stigmatiser les personnes modestes".