La Commission d'enquête sénatoriale sur le coût de la pollution de l'air a rendu son verdict. Présidée par la sénatrice écologiste Leïla Aïchi, elle évalue à 101,3 milliards d'euros par an le coût de la pollution atmosphérique en France dont 97 milliards pour les effets sanitaires et économiques (dépenses de santé, mortalité, perte de production). Les 4,3 milliards restants proviennent des coûts non sanitaires : dégradation des bâtiments, baisse des rendements agricoles, perte de biodiversité, coût de la taxation et de la réglementation ou encore coût des politiques de prévention. "Ces montants sont considérables mais ils sont sous-évalués sachant qu'ils ne portent que sur deux polluants à savoir les particules fines et l'ozone", prévient la sénatrice Leïla Aïchi. "Cette approche par le coût est une question complexe et délicate. Au cours de notre enquête nous avons été confrontés au manque de données et de méthodologie. Nous arrivons donc à un montant fortement sous-évalué", ajoute-t-elle.
Vers une refonte de la loi sur l'air de 1996 ?
Ce montant est surtout l'occasion pour les sénateurs de mettre en avant les bénéfices de la lutte contre la pollution de l'air. Et d'encourager fortement l'Etat à agir en la matière : "L'Etat a un rôle prioritaire et fondamental. Il est impératif qu'il s'empare de nos recommandations", estime Jean-François Husson, sénateur (Républicains) président de la Commission d'enquête. Les sénateurs souhaitent en premier lieu une évaluation complète de la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie (Laure) de 1996. Ses vingt ans en 2016 seraient l'occasion d'adapter son contenu. "A écouter les acteurs que nous avons auditionnés, la réglementation est le premier levier d'action", argumente Jean-François Husson.
En la matière, la commission demande de réintroduire le décret n°2011-1728 du 2 décembre 2011 relatif à la surveillance de la qualité de l'air intérieur dans certains établissements recevant du public. Les sénateurs attendent également le programme de réduction des émissions de polluants atmosphériques (Prepa) qui devrait être publié courant 2015 dans le cadre du PNSE3.
La fiscalité des transports à revoir
Pour les sénateurs, il est plus qu'urgent d'aligner la fiscalité de l'essence et du diesel d'ici 2020 et de mettre fin au cas particulier de la France. L'écart de taxation entre l'essence et le gazole est actuellement de 17 centimes par litre en faveur du gazole alors que cet écart est en moyenne de 12 centimes par litre au sein de l'Union européenne. "17 centimes à rattraper en cinq ans, c'est faisable", estime Jean-François Husson. De même, les sénateurs souhaitent que la France propose à ses partenaires européens de définir des objectifs d'émission égaux pour l'essence et le diesel pour la norme Euro 7.
Les normes Euro sont d'ailleurs dans le collimateur des sénateurs. Ces derniers demandent que les tests menés pour la définition des normes soient basés sur des conditions réelles de circulation afin d'avoir les émissions véritables. Pour le système d'étiquetage des véhicules proposé par le gouvernement récemment, les sénateurs conseillent de ne pas s'appuyer sur les normes euros mais bien sur les émissions réelles des véhicules.
Accentuer l'action des AASQA
Créées par la loi Laure, les associations agrées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA) ont les faveurs des sénateurs. "C'est un outil exceptionnel qui fonctionne bien et qui fournit des missions et des travaux de qualité", estime Jean-François Husson. La commission estime par conséquent qu'il faut pérenniser et consolider le financement de ces associations.
A l'heure actuelle, le financement des 27 AASQA est assuré par trois sources égales : les dotations de l'Etat, les subventions volontaires des collectivités territoriales et les dons libératoires plafonnés de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Dans un contexte de restriction budgétaire de la part de l'Etat et des collectivités, les budgets annuels rétrécissent. Pour stabiliser les finances, les sénateurs évoquent un élargissement aux principaux secteurs émetteurs et notamment au transport et à l'agriculture et une formalisation de la participation des collectivités territoriales.
Une meilleure prise de conscience du monde médical
Face au manque d'informations, les sénateurs préconisent une série de mesures afin d'affiner l'estimation financière qu'ils ont réalisée et par la même occasion sensibiliser le monde médical à la pollution de l'air. La mutualisation des bases de données des différents régimes de sécurité sociale en fait partie. Objectif ? Mettre en place une codification permettant d'identifier les remboursements médicaux ayant un rapport avec des problèmes de santé liés à la pollution. "L'assurance maladie ne doit plus être un payeur aveugle", estime Jean-François Husson. Le renforcement de la formation des professionnels de santé, le lancement d'appels d'offres dédiés à la recherche, et le déploiement de formation des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) font également partie du panel de mesures proposé par les sénateurs.
L'agriculture mise à contribution
En tant que source de pollution atmosphérique, l'agriculture n'est pas épargnée par la commission. Les sénateurs aimeraient que l'impact sur la qualité de l'air soit intégré dans les dossiers d'autorisation de mise sur le marché des pesticides.
L'azote agricole est également ciblé avec la mise en place d'un programme de lutte assorti d'un accompagnement technique et financier. Les chambres d'agriculture sont également invitées à normer la dispersion des polluants par les exploitations.
Des mesures bien accueillies par l'association Générations futures qui regrette toutefois la faible prise en compte de la question de l'ammoniac : "La France en est le premier émetteur de l'UE, avec 649 kt en 2010. Pour réduire ces émissions, il faudra changer de braquet et promouvoir fortement les alternatives à l'agriculture dépendante aux intrants chimiques", estime François Veillerette, porte-parole. "Il faut maintenant que ce rapport essentiel ne reste pas sans suite. Ce travail et ces données sur le coût sanitaire de la pollution de l'air doivent dès à présent inciter les pouvoirs publics à prendre des mesures radicales", ajoute-t-il.