Selon le rapport, ce n'est plus seulement le principe de précaution qu'il convient d'appliquer, tant la pollution est aujourd'hui devenue prégnante et ses effets évidents, mais la gestion d'une véritable crise, tant au plan de la qualité des eaux, des sols et de l'alimentation que de la santé.
Outre cet état des lieux alarmiste, le rapport souligne des risques sanitaires graves pour la population exposée à ces pesticides. Il rappelle en effet, que sur le plan sanitaire, les cancers du sein et de la prostate sont en très nette augmentation. La Martinique est même le deuxième territoire dans le monde par la fréquence des cancers de la prostate. Même si selon le professeur, un lien de causalité avec le chlordécone n'est pas établi, il est fortement probable que la pollution chimique engendrée par les nombreux pesticides utilisés soit en cause. À cela s'ajoute une possible augmentation des malformations congénitales et une baisse de natalité, probablement elles aussi liées aux pesticides.
Au regard de ces observations, le professeur propose la mise en œuvre d'un plan en cinq points pour sauver les Antilles du désastre actuel. Ce plan devrait intégrer un approfondissement des conséquences écologiques et sanitaires de la pollution par les pesticides, une étude détaillée de la biologie des sols, la recherche des causes à l'origine de l'augmentation de fréquence des cancers de la prostate et du sein, l'analyse des méfaits liés à l'utilisation du paraquat et enfin la recherche des mesures techniques de dépollution. Selon le professeur Belpomme, il est évident que toute pulvérisation de pesticides par avion doit être immédiatement interdite, compte tenu de l'extrême vulnérabilité des îles face à la pollution chimique, en raison de la petitesse de leur territoire.
En réponse au rapport du professeur Belpomme, l'Institut de Veille Sanitaire a souhaité rappeler qu'il s'intéresse à ce problème depuis plusieurs années. Les résultats des recherches en la matière effectuées chez l'animal, mais aussi chez l'homme ont révélé une toxicité principalement hépatique, neurologique et sur la reproduction. Mais selon l'INVS, ces effets ont été observés pour des expositions beaucoup plus importantes que celles enregistrées aux Antilles. L'institut estime donc qu'à ce jour, aucun lien n'a été démontré entre l'exposition aux pesticides aux Antilles et les observations sanitaires qui y ont été effectuées : la plus grande fréquence absolue du cancer de la prostate aux Antilles par rapport à la métropole peut être expliquée par l'origine ethnique de la population (facteur de risque bien documenté aux Etats-Unis). La diminution du nombre d'enfants par femme est également non spécifique et relève de bien d'autres causes que d'un impact sanitaire sur la biologie de la reproduction.
Néanmoins, l'INVS rappelle que plusieurs études sont actuellement en cours pour améliorer les connaissances, et, le cas échéant, orienter les mesures préventives. Il s'agit notamment des études Ti Moun et Karuprostate conduites par l'unité 625 de l'Inserm, s'intéressant pour la première aux pathologies de la grossesse, à la croissance intra-utérine, à la fonction thyroïdienne, au développement neurologique, et pour la seconde aux facteurs de risque du cancer de la prostate, ainsi qu'une étude de la répartition spatio-temporelle des cancers en Martinique conduite par la Cire Antilles-Guyane et l'association martiniquaise pour la recherche épidémiologique sur le cancer.
Le gouvernement, à travers la voix du ministre de l'agriculture Michel Barnier, a également reconnu que la situation environnementale était grave. Le secrétaire d'État à l'Outre-mer, Christian Estrosi, en visite depuis mercredi en Martinique, s'est d'ailleurs engagé à la transparence absolue sur cette problématique. En revanche le gouvernement reste prudent quant aux inquiétudes sanitaires exprimées par le professeur Belpomme. La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, sera bientôt auditionnée par la commission des Affaires sociales du sénat pour s'expliquer sur les conséquences de l'utilisation des pesticides dans les départements ultramarins. Par ailleurs, une commission d'enquête créée par l'Assemblée nationale devrait apporter plus de précisions sur cette affaire notamment en examinant les conditions de vente des pesticides incriminés alors que leur nocivité était connue. Elle serait également chargée d'envisager la compensation des agriculteurs, aquaculteurs et pêcheurs des zones concernées.
De son côté, le MDRGF* appelle le gouvernement à prendre toutes les dispositions en son pouvoir pour protéger la santé publique aux Antilles dans cette affaire et favoriser la mise en place d'une agriculture vraiment durable, basée sur la généralisation des systèmes de production intégrés et d'agriculture biologique.
*Mouvement pour le Droit et le Respect des Générations Futures