Le nouveau gouvernement d'Élisabeth Borne a présenté, ce jeudi 7 juillet, ses deux premiers projets de loi : l'un en rectification de la loi de finances pour 2022, l'autre portant sur des « mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat ». S'appuyant sur un budget chiffré à 20 milliards d'euros, les deux projets de textes abordent chacun le thème de l'énergie de diverses manières. Le volet « souveraineté énergétique » du projet de loi Pouvoir d'achat (articles 10 à 20), en particulier, n'augure rien de bon en matière de « sortie des énergies fossiles » – pourtant la priorité numéro un affichée par la Première ministre lors de son premier discours devant l'Assemblée nationale.
Un projet de terminal méthanier facilité
Les articles 13 et 14 du projet de loi sur le pouvoir d'achat concentrent le cœur de la controverse. Ils ambitionnent de faciliter et d'accélérer le développement de nouveaux terminaux méthaniers flottants, dont un prévu au large du Havre. La cheffe du gouvernement a officialisé le lancement de ce dernier, le 23 juin dernier, « pour accroître notre capacité à nous approvisionner en gaz qui n'est pas dépendant de la Russie ». Portée par TotalEnergies et raccordée dès cet automne au réseau géré par GRTgaz, cette unité de stockage de gaz naturel liquéfié (GNL) importé devrait être mise en service à la fin de l'été 2023.
Premier cas d'application de cette mesure, le projet de terminal méthanier normand profiterait, par ailleurs, d'une garantie de couverture des coûts et de dérogations procédurales au Code de l'environnement, « justifiées par l'intérêt général », afin d'accélérer les délais d'obtention des autorisations nécessaires et d'anticiper les travaux. Ces dérogations comportent, notamment :
- Une possibilité d'exonération d'évaluation environnementale ;
- Une autorisation de démarrage des travaux sans attendre la validation finale des éventuelles mesures de compensation environnementale ;
- et un raccourcissement du délai de consultation des communes traversées par la canalisation de gaz.
« L'extension de ce terminal ouvre la porte à l'importation de gaz de schiste américain ou aux productions à venir issues des bombes climatiques dans lesquelles TotalEnergies investit massivement, comme au Mozambique ou au Qatar », signale François Chartier, chargé de campagne énergies fossiles chez Greenpeace France. L'ONG n'est pas la seule à s'inquiéter de cette mesure, inscrite de surcroît dans un projet de loi censé porter sur le pouvoir d'achat, et à demander sa suppression.
« Le gouvernement tente de faire passer en force et en vitesse un nouveau terminal au Havre, alors que nous ignorons tout du coût de cet investissement, de sa durée d'opération prévue, de la provenance du gaz, ou de ses conséquences environnementales et climatiques, dénonce Lorette Philippot, chargée de campagne finance privée aux Amis de la Terre France, qui partage l'avis de Greenpeace. La construction, dans de telles conditions, d'un nouveau terminal de GNL n'est pas une réponse au problème brûlant du pouvoir d'achat. Ce n'est pas un cadeau fait aux Français, mais bien aux entreprises des énergies fossiles et à Total en premier lieu, qui réalise déjà des superprofits sur le dos de l'explosion des prix de l'énergie. » À noter que la contre-proposition de loi sur le pouvoir d'achat, présentée par des représentants de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), invitait, à l'inverse, à augmenter la taxation des grands énergéticiens, dont TotalEnergies.
Soutien au charbon et au gaz
S'agissant toujours des énergies fossiles, les articles 15 et 16 du projet de loi entérinent, quant à eux, la prolongation des dernières centrales à charbon. Tandis que l'un réaffirme simplement la volonté d'accentuer leur activité déjà avancée dans un projet de décret en cours de consultation, l'autre offrirait la possibilité à leurs exploitants de réembaucher, avant la fin de l'année 2023, les salariés licenciés pour des contrats s'étalant jusqu'à trente-six mois.
Les deux projets de loi comprennent d'autres mesures destinées au secteur de l'énergie. Le projet de loi Pouvoir d'achat préconise d'instaurer un nouveau système de « mécanisme de sécurisation du remplissage des infrastructures essentielles de stockage de gaz naturel », en complément du mécanisme de régulation déjà en vigueur. À cela s'ajoute la possibilité, en modification du Code de l'énergie, d'étendre la contractualisation de capacités interruptibles aux consommateurs de gaz raccordés au réseau, pour plus de flexibilité, et de réquisitionner, pour le ministère de l'Énergie, des centrales à gaz pour la seule production d'électricité en compensation de l'arrêt partiel du parc nucléaire. Ce même projet de loi propose, par ailleurs, plusieurs révisions du dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), en réponse à des recommandations de la CRE, dont une validation d'un décret de mars 2022 attribuant un volume additionnel d'électricité pour l'année 2022.
De son côté, pour faire des économies, le projet de loi de finances rectificative (PLFR) invite cependant à déplafonner les avoirs compris dans les contrats de complément de rémunération. Pour rappel, ces avoirs sont versés en fonction de la performance des installations de production d'énergie renouvelable.
Des aides pour alléger la facture énergétique
Pour finir, l'essentiel des mesures d'aides financières les plus larges en rapport avec la hausse de l'inflation et des prix de l'énergie se trouvent dans le PLFR. Pour contrer les augmentations respectives de 80 % et de 35 % des prix du gaz et de l'électricité sur le marché, le gouvernement propose de prolonger jusqu'à la fin de l'année le « bouclier tarifaire » introduit en décembre dernier par la loi de finances initiale. Cette disposition gèle le niveau des tarifs réglementés de vente de gaz naturel à son niveau d'octobre 2021 et plafonne à 4 % la hausse des tarifs de l'électricité. Elle s'accompagne de l'instauration d'une subvention « d'urgence temporaire, ciblée et plafonnée » pour les factures énergétiques des entreprises, délivrée par le biais d'un guichet ouvert par la direction générale des Finances publiques (DGFIP). Le PLFR encourage, par ailleurs, deux abondements de 400 millions d'euros pour prolonger jusqu'à la fin de l'année MaPrimeRénov' ainsi que le bonus écologique automobile aux véhicules légers.
Concernant le carburant, le PLFR formule une fin progressive pour la « remise sur les carburants » de 18 centimes par litre, initialement prévue jusqu'au 31 juillet. Cette ristourne pourrait ainsi demeurer jusqu'à la fin du mois de septembre. Elle serait ensuite réduite de 6 centimes une première fois, en octobre, et une seconde fois, en novembre, avant d'être supprimée, le 1er décembre. Elle serait complétée, dès le 1er octobre, d'une « indemnité carburant pour les travailleurs » : une aide ponctuelle de 100 à 300 euros, versée par la DGFIP, pour les revenus les plus modestes en fonction de la distance parcourue pour se rendre sur leur lieu de travail (plus de 30 kilomètres) ou au cours de déplacements professionnels (plus de 12 000 kilomètres dans l'année). Ce « nouveau dispositif plus ciblé sur les travailleurs modestes (a) vocation à s'y substituer », avance le gouvernement. En outre, le PLFR souhaite reporter d'un an la fin du tarif réduit sur le gazole non routier (GNR), profitant notamment aux entreprises du bâtiment, fixée initialement au 1er janvier 2023.