La Fondation Abbé-Pierre, le Secours catholique et 18 autres organismes, comme le Réseau pour la transition énergétique (Cler), Stop exclusion énergétique, le collectif Rénovons et le Plan bâtiment durable, ont lancé, ce mercredi 10 novembre, la première Journée nationale de sensibilisation à la précarité énergétique. Avec l'augmentation des coûts de l'énergie et du logement, la mauvaise qualité énergétique de millions de logements « passoires thermiques », de plus en plus de ménages français n'ont pas les moyens de se chauffer correctement, « avec de graves conséquences sur leur santé et leur budget », préviennent les organisateurs.
Plus de 5,6 millions de ménages concernés
Cet événement est soutenu par les ministères du Logement et de la Santé. Il s'inscrit dans un contexte « de hausse importante des prix de l'électricité et du gaz depuis dix ans », souligne l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), qui fait partie des organisateurs de la journée. Et selon ses derniers chiffres, communiqués le 9 novembre, plus de 5,6 millions de ménages français sont concernés par ce fléau qui progresse. Cela représenterait 20,4 % des ménages, soit 12 millions de personnes qui peineraient à régler leurs factures d'énergie et souffrent d'inconfort dans leur logement. Au cours de l'hiver 2020-2021, un ménage sur cinq a ainsi souffert du froid dans son logement pour des raisons liées à la précarité énergétique, précise l'ONPE, piloté par l'Agence de la transition écologique (Ademe). Ce chiffre est issu du baromètre « énergie-info », publié en octobre 2021 par le Médiateur national de l'énergie. « C'est une hausse de 6 points par rapport à l'hiver précédent. Pour 4 ménages sur 10, c'est à cause d'une mauvaise isolation thermique de leur logement ; plus de 3 ménages sur 10 invoquent une limitation pour raisons financières », indique Arnaud Leroy, président de l'Ademe et de l'ONPE.
Prendre en compte les conséquences sanitaires
Les organisateurs de cette journée alertent sur les conséquences de ce fléau, qui touche aussi la santé des habitants. Avec une multiplication des maladies chroniques et respiratoires (asthme, angines, bronchiolites, etc.) dans les ménages exposés notamment aux moisissures. D'après une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) citée par les organisateurs, le fait d'habiter dans un logement difficile à chauffer augmenterait « de 50 % le risque de se déclarer en mauvaise santé ».
Pour Philippe Pelletier, président du Plan bâtiment durable : « [en France], il manque une approche sanitaire au sujet de la précarité énergétique contrairement à la Grande-Bretagne », a-t-il pointé, le 9 novembre, à l'occasion du colloque national de l'ONPE à Lille. Il estime qu'il faudrait « embarquer le corps médical » dans la lutte contre la précarité. D'autant qu'en Grande-Bretagne, le médecin est même « prescripteur des travaux [de rénovation des logements, ndlr] », a mis en avant M. Pelletier.
Marion Hulin, de Santé publique France, a également souligné la nécessité de prendre en compte « les enjeux sanitaires dans les moyens d'action », en ciblant les logements « pathogènes », indécents, occupés par les foyers précaires.
Renforcer les aides et mieux accompagner les ménages précaires
Plusieurs aides publiques existent déjà pour les ménages modestes, comme le chèque énergie pour payer une partie des factures ou des travaux de rénovation énergétique. Aujourd'hui, 5,9 millions de ménages en sont bénéficiaires. Son montant va de 150 euros en moyenne à 277 euros pour les ménages les plus modestes. Et selon un récent rapport du Commissariat général au développement durable (CGDD), cette aide est efficace et a permis, en 2019, à « un demi-million de ménages de sortir de la précarité énergétique (en France métropolitaine) et à près de 2,2 millions de ménages de réduire leur précarité énergétique ». Pour faire face à la hausse des prix de l'énergie, le gouvernement a annoncé, en septembre dernier, un chèque énergie de 100 euros supplémentaires qui sera envoyé automatiquement aux bénéficiaires en décembre 2021. Mais le collectif Initiative Rénovons, dont fait partie le Secours catholique, plaide pour rehausser le montant de ce chèque en le portant à « 700 euros au lieu de 100 », a indiqué Jean Merckaert, directeur action plaidoyer France Europe du Secours catholique. Ce dernier dénonce cette somme jugée insuffisante et craint une augmentation des factures d'énergie impayées des ménages précaires pour cet hiver.
L'ONPE également recommande de doubler le montant du chèque énergie. Isolde Devalière, cheffe de projet précarité énergétique chargée du pilotage de l'ONPE, propose « d'abonder davantage, par les fournisseurs d'énergie, les Fonds de solidarité logement (FSL) » pilotés par les départements. Ces mesures font partie des pistes d'action préconisées par l'ONPE dans une déclaration collective présentée hier, pour faire reculer la précarité énergétique en France. « Lancer de vastes chantiers prend du temps, mais la précarité énergétique n'attend pas. Pour y faire face dès à présent, il est nécessaire de renforcer les aides au paiement des factures des ménages précaires au-delà des récentes annonces sur le bouclier énergétique », expliquent les 28 membres de l'ONPE dans leur déclaration. Ils exhortent, en outre, les pouvoirs publics à « garantir un reste-à-charge zéro » pour les ménages très modestes voulant se lancer dans des chantiers de rénovation ambitieux et performants. « Les aides à la rénovation énergétique montent en puissance, à l'instar de MaPrimeRénov' depuis 2020. Toutefois, leur montant n'est pas toujours suffisant pour permettre à des ménages très modestes de financer des travaux ambitieux de rénovation. Quand le reste-à-charge pour une famille au RSA ou au Smic s'élève à 5 000 € ou à 10 000 €, il empêche bien souvent le lancement des travaux et, même, le simple fait de les concevoir », constate l'ONPE.
L'Observatoire appelle aussi à améliorer la lisibilité et l'accessibilité aux aides nationales et locales pour les ménages précaires concernés qui sont confrontés à une « méconnaissance » des parcours d'accompagnement. Il recommande de former et d'outiller les travailleurs sociaux, les collectivités et les futurs accompagnateurs rénov' au repérage et à l'accompagnement des ménages les plus démunis pour être en mesure de leur assurer un accompagnement « gratuit, continu et ciblé, du repérage au contrôle ex-post des travaux ».
Garantir un droit d'accès « minimum à l'électricité »
De son côté, Olivier Challan Belval, Médiateur national de l'énergie, est favorable à la mise en place « d'un droit à une alimentation minimale en électricité pour les foyers les plus précaires ». Si le 1er novembre a marqué le début de la trêve hivernale pour cinq mois, ce qui interdit les coupures d'électricité et de gaz naturel, « les fournisseurs d'énergie seront, si rien n'est fait, autorisés à faire couper à nouveau l'énergie des foyers en situation d'impayés à partir du 1er avril prochain », prévient-il ce mercredi. « Le versement d'un chèque énergie supplémentaire de 100 euros, le blocage des tarifs réglementés du gaz et la limitation annoncée de la hausse des tarifs réglementés de vente d'électricité, début 2022, sont des solutions d'urgence et de court terme, mais qui ne règlent pas la question de l'accès minimal à l'électricité. Comme le droit au logement, à l'eau ou encore le droit à l'ouverture d'un compte bancaire, il est nécessaire de garantir un droit d'accès minimum à l'électricité. Dans cette perspective, la piste d'un droit à une alimentation minimale, dont les modalités restent à définir, doit être explorée », estime Olivier Challan Belval.
Vers un Plan national de lutte contre la précarité énergétique ?
Les membres de l'ONPE appellent le gouvernement à faire de la précarité énergétique « une priorité nationale ». Ils préconisent la nomination d'un délégué interministériel à la Précarité énergétique, qui serait placé auprès du Premier ministre. Son rôle serait d'être le « garant de la mise en œuvre d'un Plan national de lutte contre la précarité énergétique » et il assurerait l'exécution de cette feuille de route.