Le Conseil constitutionnel est-il en passe de consacrer le principe de non-régression environnementale ? La réponse est entre ses mains mais une opportunité sans précédent s'offre à lui à l'occasion du contrôle de constitutionnalité de la loi autorisant des dérogations à l'interdiction des pesticides néonicotinoïdes.
Les gardiens de la Constitution font l'objet d'une double saisine de plus de 60 députés et plus de 60 sénateurs d'opposition sur ce texte adopté par l'Assemblée nationale le 30 octobre et par le Sénat le 4 novembre. Ils ont également reçu plusieurs contributions extérieures à l'appui de cette saisine, cette loi étant considérée par de nombreux observateurs comme une régression environnementale inédite. « Le retour du poison des néonicotinoïdes constitue un recul sans précédent dans l'histoire du droit de l'environnement et de la protection de la biodiversité », s'indigne ainsi Delphine Batho, ancienne ministre de l'Environnement et signataire de la saisine des députés.
Un principe à valeur législative
Cette question du recul de la protection environnementale est l'enjeu fort de ces saisines, à la fois pour la loi soumise à l'examen des sages mais, plus largement, pour l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle en matière de protection de l'environnement. En effet, le principe de non-régression n'a pour l'heure qu'une valeur législative et sa valeur constitutionnelle n'a pas été explicitement reconnue.
Le principe a été introduit parmi les dispositions législatives du code de l'environnement par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, celle-là même qui a interdit les nénonicotinoïdes. Selon ce principe, « la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».
En l'état du droit, ce principe ne s'applique donc qu'aux textes réglementaires. Le Conseil d'État a été amené à plusieurs reprises depuis 2016 à juger de la conformité de tels textes à ce principe. Par deux fois déjà, il a annulé les dispositions de décrets qui le violaient. En décembre 2017, tout d'abord, à propos de l'exemption d'évaluation environnementale de certains équipements sportifs. Puis, en octobre 2019, quant aux règles de l'évaluation environnementale applicables en Guyane.
Deux écoles s'affrontaient
Tout l'enjeu est donc aujourd'hui celui de la possible consécration de la valeur constitutionnelle du principe. Les deux saisines parlementaires font valoir une atteinte au principe de non-régression. De même, une contribution extérieure, signée par quatorze des plus grands spécialistes du droit de l'environnement, dont le professeur de droit Michel Prieur, est entièrement fondée sur la reconnaissance et la mise en œuvre de ce principe.
Deux écoles s'affrontaient quant à savoir si une révision constitutionnelle était nécessaire ou si le principe de non-régression était déjà inscrit dans le bloc de constitutionnalité et qu'il suffisait de le consacrer. Force est de constater que les deux saisines et cette contribution extérieure soutiennent de manière unanime cette deuxième thèse.
« Les requérants appellent ainsi le Conseil constitutionnel à considérer que le principe de non-régression est déjà inscrit dans la Constitution, plus précisément à l'article 2 de la Charte de l'environnement », soutiennent ainsi les députés. « La violation du principe constitutionnel de non régression en matière environnementale, que nous pensons d'ores et déjà présent dans notre droit positif, découle d'abord de la privation de garanties légales des exigences constitutionnelles relatives à la protection de l'environnement », font aussi valoir les sénateurs.
« Éviter de consacrer un principe à l'eau de rose »
Une certaine unanimité semble se dégager en faveur de cette thèse, l'article 2 de la Charte de l'environnement prévoyant que « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ». L'enjeu est donc aussi que les sages de la rue de Montpensier puissent donner du sens et de la portée à ce principe. « Il s'agit de fixer des critères d'application pour éviter de consacrer un principe à l'eau de rose », explique Arnaud Gossement, professeur de droit et signataire du mémoire adressé au Conseil constitutionnel.
Ce principe a « d'ores et déjà été appliqué, explicitement ou dans sa substance, par plusieurs cours constitutionnelles, à l'image de la Cour constitutionnelle belge ou du Tribunal suprême espagnol », font par ailleurs valoir les signataires de la contribution.
Devoir d'amélioration constante de la protection
Quant à la loi néonicotinoïdes elle-même, les parlementaires requérants et les spécialistes du droit de l'environnement proposent sa censure au Conseil constitutionnel en faisant application du principe de non-régression ainsi consacré. Ce principe « comporte un devoir d'amélioration constante du niveau de protection effectif de l'environnement et de la santé humaine », rappellent ces derniers. Or, la loi a été adoptée sans aucune évaluation préalable sérieuse. D'autre part, le report à 2023 de l'interdiction décidée en 2016 « ne saurait être qualifié d'amélioration de la protection de l'environnement », ajoutent les juristes.
« L'autorité morale du principe est d'ores et déjà atteinte par cette loi », estime Arnaud Gossement. Et l'on est sur un cas absolument emblématique de régression ».
Lors du contrôle de constitutionnalité de la loi de 2016, le Gouvernement, auquel appartenait l'actuelle ministre de la Transition écologique, avait défendu une conception ambitieuse du principe : « Tel que formulé par le législateur, qui, pour cela, s'est inspiré de l'évolution du droit international de l'environnement, d'exemples étrangers et de travaux universitaires, le principe de non-régression se présente comme un principe de progrès, qui n'entend faire obstacle ni à la nécessaire mutabilité de la règle de droit (…), ni à la faculté, pour les détenteurs du pouvoir normatif, de tenir compte d'intérêts généraux autres que celui de la protection de l'environnement. »
La balle est maintenant dans le camp du Conseil constitutionnel.