Missionnés par la ministre de l'Ecologie Delphine Batho début décembre, Jean-Marc Michel, directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature et Bernard Chevassus-au-Louis, membre du Conseil général de l'agriculture et des espaces ruraux, ont présenté mercredi 20 février leur rapport de préfiguration de l'Agence française de la biodiversité devant les députés de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Le débat sur sa création date de 2007, au moment du lancement du Grenelle. Les deux préfigurateurs étaient invités par le ministère à définir les missions, le périmètre et les moyens donnant le coup d'envoi de cette agence chargée, "sur le modèle de l'Ademe" (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), "de venir en appui des collectivités locales, des entreprises comme des associations œuvrant pour la reconquête de la biodiversité". Il s'agissait également pour M. Chevassus-au-Louis et M. Michel de préciser notamment son articulation avec les collectivités locales. Annoncée en septembre dernier par le Président Hollande lors de la conférence environnementale, cette future agence doit être instituée par la loi-cadre sur la biodiversité d'ici à fin 2013.
Création d'un établissement "d'appui" aux opérateurs publics, privés et associatifs
Face à cette échéance, les préfigurateurs n'ont pas tardé à faire leurs propositions dans un rapport d'une soixantaine de pages remis dès le 31 janvier à la ministre de l'Ecologie. Ils prônent un scénario en particulier : la création d'une agence pouvant intervenir sur l'ensemble du champ couvert par la biodiversité marine et terrestre (tant remarquable qu'ordinaire) sur tout le territoire, et en lien avec tous les acteurs visant à mutualiser les compétences. Une agence qui sera "d'animation et d'appui aux opérateurs" professionnels, associatifs, publics impliqués dans le réseau Natura 2000 , la mise en place de la trame verte et bleue, et la directive cadre sur les milieux marins, estiment-ils. La ministre de l'Ecologie Delphine Batho a indiqué à l'AFP mi-février "pencher" pour ce scénario "le plus ambitieux", selon elle.
Le futur organisme ne doit donc pas être limité au regroupement des organismes publics chargés des aires protégées (parcs nationaux, agence des aires marines protégées, atelier technique des espaces naturels, réserves naturelles, …), jugent les préfigurateurs. Ce scénario élargit le périmètre aux organismes dédiés à la "connaissance", comme l'Observatoire national de la biodiversité, mais aussi à ceux en charge de la "biodiversité ordinaire" en rapprochant les activités de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et de l'Office de l'eau et des milieux aquatiques (Onema).
Les préfigurateurs proposent donc de créer un organisme nouveau dédié à la biodiversité "et doté de moyens propres, plutôt que basé sur l'extension du mandat d'agences existantes". Ce futur établissement public administratif "doit regrouper un certain nombre d'opérateurs qui ne doivent pas être dilués dans un organisme existant", a expliqué Jean-Marc Michel auditionné par les députés.
Les parlementaires inquiets d'un risque de concentration
En matière de gouvernance : cette agence de mobilisation "ne se substituera pas à l'exercice de tutelle de l'Etat sur ces établissement publics ni à l'exercice de pilotage par des collectivités", a assuré M. Michel aux députés qui craignent, via la création d'un organisme "centralisé", de perdre leur périmètre d'action régionale en matière de biodiversité. Le président de la commission développement durable Jean-Paul Chanteguet (député socialiste de l'Indre) a pointé un "problème de lisibilité" du projet de l'agence et son articulation avec les collectivités.
Un autre sujet, qualifié de "délicat" par M. Michel, est celui du regroupement de l'Onema et de l'ONCFS : "Notre proposition est de s'inspirer de dispositifs existants dans l'enseignement supérieur où l'Institut des Mines Télécom regroupe sous forme de rattachement les établissements qui ne perdent pas leur personnalité", réaffirme-t-il. Les polices de la nature, qui figurent parmi les missions des deux établissements publics conserveraient leurs structures de gouvernance propres et resteraient en dehors des fonctions de l'agence. Elle n'endossera pas le rôle d'opérateur direct de gestion d'espaces, a ajouté Bernard Chevassus-au-Louis.
Le nouvel organisme via "son conseil d'administration restreint" ne doit pas non plus se substituer à la gouvernance du Conseil national de la biodiversité, selon les préfigurateurs. L'agence aura son conseil scientifique et technique dédié. La structure pourrait exercer ses missions "à l'échelle des comités de bassins", recommandent-ils. Pour "compléter et amplifier" l'action de l'agence, la mission préconise également de créer des filiales et un Groupement d'intérêt public (GIP) de coopération dont l'Agence serait l'un des principaux fondateurs.
Quid des moyens alloués à l'Agence ?
Côté financements : la création de l'établissement pourrait compter jusqu'à 1.000 agents (hors fonctions de police) et faire appel à "un budget d'environ 150 M€ (toujours hors fonctions de police), auquel viendrait s'ajouter les ressources complémentaires liées à ses nouvelles missions", chiffre le rapport. A l'instar de l'Ademe, l'agence aura en effet des capacités d'intervention financière qui se ferait par le biais de programmes et d'appels à projets et non sous forme de guichet. La raison ? "Aujourd'hui, les maîtres d'ouvrage ne sont pas assez nombreux et structurés et l'agence devra définir des programmes ou projets prioritaires par thèmes, par territoires, voire par partenaires. C'est ainsi que nous recommandons, pour au moins les cinq ou dix premières années d'activité de l'agence, des interventions par appels à projets", a expliqué Jean-Marc Michel.
Les préfigurateurs prévoient le premier exercice fonctionnel de l'agence en 2015. Pour financer son fonctionnement, elle pourrait "mobiliser des ressources complémentaires qui évolueraient par palier à l'horizon 2020", a indiqué M. Michel. Soit 400 millions d'euros par an engagés par les opérateurs publics d'ici cette échéance dont la moitié devrait être affectée à l'agence par l'Etat, selon le rapport. "Cette somme représenterait une progression d'environ 30% de la dépense publique en faveur de la biodiversité. Cette augmentation sera à étaler dans le temps et devra combiner les efforts de l'Etat et ceux des différentes collectivités territoriales".
Des taxes existantes pourraient également être affectées à l'Agence à l'instar de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier bâti ou de la redevance sur les infrastructures linéaires de transport. Autre piste fiscale : la taxe sur les phytosanitaires déjà redistribuée aux politiques publiques de l'eau "pourrait également bénéficier à celles de la biodiversité", suggère M. Michel. La création d'un fonds d'intervention pour la biodiversité "recapitalisé sur 4-5 ans et réabondé", a aussi été évoquée.
L'agence pourrait également mobiliser des moyens privés et une dotation budgétaire dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2015. Mais l'organisation et les moyens dédiés à la nouvelle agence, annoncée pour fin 2013 après le vote de la loi-cadre, promettent de vifs débats au Parlement alors que des députés ont fait part de leur crainte d'une recentralisation quand d'autres ont dénoncé la création d'une "agence de plus" en période de "disette budgétaire"…
"Développer le capital écologique est un pari pour l'avenir, il y a encore beaucoup à débattre", a reconnu Bernard Chevassus-au-Louis. "Il y a encore des ajustements à proposer à la marge. On peut affiner les hypothèses de travail'', a également admis Jean-Marc Michel tout en assurant que "la reconquête de la biodiversité est en phase opérationnelle. Regrouper les forces entrent dans cette ambition", a-t-il plaidé.
Pour Benoît Hartmann, porte-parole de la fédération France Nature Environnement (FNE) : "Nous nous réjouissons de voir cette agence de la biodiversité sortir de terre. En revanche, nous sommes inquiets quant à sa capacité future à agir. Les moyens alloués devront être des moyens additionnels. On ne déshabille pas Paul pour habiller Pierre. Sans des moyens humains et financiers à la hauteur des enjeux, l'agence nationale pour la biodiversité restera une jolie coquille vide". Un avis partagé par la Fondation Nicolas Hulot, Humanité et Biodiversité et la Ligue pour la Protection des Oiseaux pour qui "créer une agence de la biodiversité n'a de sens que si on crée en même temps le flux financier nouveau pour permettre l'action, à l'instar de ce qui a été fait pour les agences de l'eau ou l'Ademe".