Qui n'a pas apprécié le charme d'un alignement de platanes le long d'une route méridionale ? Or, ce patrimoine est grignoté petit à petit. Les sénateurs souhaitent y mettre le holà. Ils ont en effet adopté le 22 janvier un amendement écologiste au projet de loi sur la biodiversité qui renforce la protection des allées et alignements d'arbres, reconnus comme patrimoine culturel, source d'aménités et enjeu de préservation de la biodiversité.
"Charles V fit planter des ormes dès le XIVe siècle, Henri IV et Sully, puis Louis XIV avec Le Nôtre et Colbert firent de même. On disait du préfet Rambuteau, en 1848, qu'il aurait préféré se faire arracher une dent que de voir arracher un arbre. Empire, Restauration, République ont conjugué leurs efforts ; en 1895, on comptait 3 millions d'arbres le long des 35.000 km de routes", a rappelé Marie-Christine Blandin, auteur de l'amendement.
Interdiction d'abattage sauf danger
Le texte voté prévoit d'interdire l'abattage ou la modification radicale de l'aspect des arbres d'une allée ou d'un alignement sauf s'ils présentent un danger pour la sécurité des personnes, des biens et des autres arbres, ou que "l'esthétique de la composition ne peut plus être assurée et que la préservation de la biodiversité peut être assurée par d'autres mesures".
"L'efficacité d'une telle protection suppose que l'on évite tous actes dommageables à la bonne santé du végétal (atteintes aux parties aériennes et souterraines des arbres - domaine vital) ou nuisant au caractère esthétique de l'ensemble (qui constitue une des particularités de ce patrimoine). Elle suppose également d'assurer le renouvellement par des plantations en nombre suffisant", explique Mme Blandin.
Le rapporteur LR Jérôme Bignon avait demandé le retrait de l'amendement, estimant que plusieurs outils existaient déjà pour protéger les arbres : plans locaux d'urbanisme (PLU), inscription ou classement d'allées, etc. Mme Blandin estime au contraire, qu'en dehors de la directive paysagère des Alpilles, les allées françaises ne bénéficient pas d'un régime de protection généralisé : non-utilisation de la protection comme monument historique ou comme site classé, inadaptation de la protection des PLU aux routes départementales, régimes de protection discrétionnaires ne répondant pas aux préconisations du Conseil de l'Europe dans le cadre de la Convention européenne du paysage. Une convention que la France a pourtant ratifiée en 2005…
"La direction générale des routes estime que les alignements d'arbre sont un élément de la protection des routes : leur suppression entraîne l'affaissement des bas-côtés. On prend désormais conscience de la valeur patrimoniale de ces alignements", a appuyé Ségolène Royal, apportant le soutien du Gouvernement. Argument qui s'ajoute, en plus de la préservation de la biodiversité, à d'autres mis en avant par Mme Blandin : limitation du réchauffement climatique ou encore lutte contre la pollution. Et auxquels on pourrait également ajouter le développement de l'agroforesterie, pour lequel le ministre de l'Agriculture a lancé un plan de soutien en décembre dernier.
Pas de protection absolue
L'article voté ne prévoit toutefois pas une protection absolue des alignements d'arbres. Le principe d'interdiction d'abattage ou de dégradation est en effet édulcoré par deux dispositions.
Il est prévu, tout d'abord, que "des dérogations limités pourront être accordées pour les besoins de projets de construction". Ensuite, le texte prévoit des mesures compensatoires "y compris en cas d'autorisation ou de dérogation". Les mesures compensatoires devront être "locales, basées sur leur valeur patrimoniale, déclinées en un volet en nature (plantation) et un volet financier, assurant l'entretien ultérieur". S'y ajoutent, prévoit le texte, des sanctions versées à un fonds de compensation en cas d'absence d'autorisation. Le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, admet par conséquent que des destructions non autorisées restent possibles.
La rédaction pourrait toutefois évoluer d'ici la deuxième lecture. Christine Blandin a en effet indiqué qu'elle le retravaillerait d'ici là, comme l'avait suggéré le rapporteur qui ne s'était pas opposé au principe de légiférer sur la question. Si cette disposition était définitivement votée, son application dépendrait également du pouvoir réglementaire, puisqu'elle prévoit qu'un décret vienne préciser ses modalités de mise en œuvre.