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Actu-Environnement

La dérogation Espèces protégées au cœur du débat sur le projet de loi ENR

L'Assemblée nationale se prononce, ce mardi, sur le projet de loi destiné à accélérer la production d'énergies renouvelables. Au cœur du débat, la question de l'intérêt majeur des projets qui conditionne la délivrance des dérogations Espèces protégées.

Biodiversité  |    |  L. Radisson
La dérogation Espèces protégées au cœur du débat sur le projet de loi ENR

Les projets d'installations de production d'énergies renouvelables (ENR) répondent-ils à une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) ? Derrière cette question d'apparence technique ou sociologique se cache en réalité un enjeu juridique important pour le développement des projets qui ont un impact sur des espèces protégées ou leurs habitats.

Dans un tel cas, les porteurs de projets sont tenus de solliciter et d'obtenir une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Celle-ci se révèle de plus en plus difficile à décrocher, compte tenu de la prise en compte croissante des enjeux de biodiversité par les services instructeurs. Les dispositions du code de l'environnement, précisées par une jurisprudence de plus en plus abondante, ont fixé trois conditions distinctes et cumulatives pour que cette dérogation puisse être accordée : l'absence de solution alternative satisfaisante ; le fait que la dérogation ne nuise pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ; la justification de cette dérogation par l'un des cinq motifs énumérés à l'article L. 411-2 du code de l'environnement  (1) parmi lesquels figure le fait que le projet réponde à une raison impérative d'intérêt public majeur.

Sur le terrain, cette dernière condition apparaît très souvent comme un facteur bloquant pour les projets. Elle a déjà fait capoter nombre d'entre eux, qu'ils relèvent du secteur de la production énergétique ou non. C'est par exemple le cas du projet de centre commercial Val Tolosa dans la périphérie de Toulouse, du contournement routier du village de Beynac en Dordogne, d'un projet de parc éolien dans l'Hérault, ou encore du projet de centre de tri de colis d'Amazon à proximité du pont du Gard.

Un vote non acquis

L'Assemblée nationale doit procéder, ce mardi 10 janvier, au vote solennel sur le projet de loi dont les députés avaient achevé la discussion le mois dernier. L'adoption du texte n'est pas acquise pour le Gouvernement, du fait notamment de l'abstention annoncée du groupe écologiste. Celui-ci estime que le texte n'est pas à la hauteur par rapport aux grands enjeux qu'il a identifiés : planification, partage territorial de la valeur, déploiement équilibré des ENR sur l'ensemble des territoires et, en priorité, sur les zones déjà bâties, structuration des filières économiques.

“ La démarche n'est pas acceptable : elle aggrave la version initiale du texte, et se révèle plus restrictive que les textes européens ” LPO
Cette discussion se tient alors que le Conseil de l'UE a formellement adopté, le 22 décembre dernier, un règlement ayant le même objet que la loi française. Ce texte, publié en fin d'année et applicable pour une durée de dix-huit mois, prévoit que « la planification, la construction et l'exploitation d'installations de production d'énergie à partir de sources renouvelables, le raccordement de ces installations au réseau, le réseau connexe proprement dit, ainsi que les actifs de stockage, sont présumés relever de l'intérêt public supérieur et de l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques lors de la mise en balance des intérêts juridiques dans chaque cas ». Selon le texte, les États membres doivent donc veiller à ce que ces projets soient prioritaires, à condition que des mesures appropriées de conservation des espèces soient prises pour maintenir ou rétablir leurs populations dans un état de conservation favorable, et que des ressources financières et des espaces soient mis à disposition à cette fin.

« Cheval de Troie du nucléaire »

En ce qui concerne l'intérêt public majeur des projets dans la loi française, les députés avaient réintroduit, le 14 décembre dernier, un article le reconnaissant via un amendement des députées Renaissance Marjolaine Meynier-Millefert et Danielle Brulebois. Un amendement (2) , proposé par l'Union française de l'électricité (UFE) selon son exposé sommaire et adopté après des débats musclés contre l'avis du rapporteur et du Gouvernement, qui avait proposé une autre rédaction, et même… contre l'avis de sa première signataire.

« L'amendement vise à revenir à la rédaction adoptée au Sénat, à rendre notre droit conforme à la proposition de la Commission européenne et à faire inscrire la RIIPM de la petite hydroélectricité dans la loi. Première source d'énergie renouvelable en France, l'hydroélectricité est un outil essentiel à l'atteinte des objectifs nationaux et européens en matière d'énergies renouvelables et elle s'inscrit d'évidence dans l'affirmation de l'intérêt public majeur des énergies renouvelables », a expliqué Mme Brulebois, qui a défendu l'amendement. Selon la rédaction adoptée, sont réputés répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur les projets d'installations de production d'énergie renouvelable ou de stockage d'énergie, mais aussi de gaz bas carbone, d'hydrogène renouvelable ou bas carbone, y compris leurs ouvrages de raccordement.

« La démarche n'est pas acceptable : elle aggrave la version initiale du texte, et se révèle plus restrictive que les textes européens », réagit la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). La députée insoumise Clémence Guetté avait vainement plaidé pour que la reconnaissance automatique de la RIIPM respecte deux conditions, et ce alors que l'amendement du Gouvernement tenait encore la corde. « D'une part, elle ne doit être possible que pour les installations d'énergies renouvelables car, nous l'avons dit et répété, nous ne voulons pas que des formules vagues telles que « bas carbone » servent, dans ce texte, de cheval de Troie au nucléaire. D'autre part, elle doit être limitée aux zones d'accélération du déploiement des énergies renouvelables, zones que nous avons mis du temps à définir et qui nous semblent, à ce stade, relativement floues et inutiles. »

« Important recul »

« La question n'est pas celle de savoir si les énergies renouvelables sont ou non d'intérêt général : elles le sont (…). Elle est celle de savoir si tout projet de production d'énergies renouvelables – mais aussi d'installation du réseau, de transformateurs et autres lignes à haute tension –, quel que soit ce projet et où qu'il soit implanté, est présumé, par principe, être autorisé à détruire des espèces protégées. À titre personnel, je réponds non », avait argumenté, de son côté, l'ancienne ministre de l'Environnement, Delphine Batho. Celle-ci avait, également vainement, proposé que la dérogation aux règles régissant la préservation des espèces protégées soit limitées à dix-huit mois, que le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) puisse émettre un avis, et que la reconnaissance automatique de la RIIPM ne puisse être accordée dans le périmètre des espaces naturels protégés.

Si la LPO se félicite que les questions de biodiversité soient enfin prises en compte dans le texte de loi, l'association pointe un « important recul » avec cette attribution aussi « large et systématique » de la RIIPM. À l'instar de certains députés d'opposition, elle demande que ce dispositif soit réservé aux projets contribuant de façon significative à la transition énergétique et à la sécurité d'approvisionnement du réseau. « Cela suppose que des critères techniques minimaux soient fixés pour chaque technologie, notamment en termes de puissance, et que soient également prises en compte leur localisation en dehors d'espaces protégés et leurs modalités de déploiement », préconise la LPO.

« Pour autant, le cheminement de ce texte n'est pas fini, et suite à cette première lecture, il est encore possible d'aboutir à un texte renforcé, lors de la commission mixte paritaire ou en seconde lecture », assurent les députés écologistes.

1. Consulter l'article L. 411-2 du code de l'environnement
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000022495748/2010-07-14
2. Télécharger l'amendement adopté
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-40942-raison-imperative-interet-public-majeur-projet-loi-enr.pdf

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