A quelques jours de l'adoption, par le Sénat, du projet de loi sur la transition énergétique, qui doit intervenir le 3 mars, le collectif des acteurs en transition énergétique (1) interpelle le gouvernement sur l'issue des discussions parlementaires. Ces entreprises, associations et collectivités se reconnaissent dans la synthèse du débat national sur la transition énergétique et regrettent que les principales ambitions issues de ces échanges aient été amoindries par les parlementaires.
"Le débat est allé beaucoup plus loin dans ses propositions que le projet de loi", estime Claire Roumet, directrice d'Energy cities. Bruno Rebelle, directeur général de la société de conseil Transitions mais surtout membre du comité de pilotage du débat, va plus loin : "Je suis effrayé de voir à quel point l'esprit du débat national s'étiole". Si, à la limite, "le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale convenait, celui issu du Sénat ne respecte plus le consensus trouvé", renchérit Frédéric Lanoë, président de France énergie éolienne (FEE).
Les grands objectifs revus à la baisse
Au cœur des crispations : la suppression d'une échéance pour la diminution de 75 à 50% de la part du nucléaire dans le mix électrique français. Alors que le projet de loi fixait un horizon à 2025, conservé par les députés après de longs débats, les sénateurs n'ont pas souhaité fixer de date, estimant qu'un objectif de réduction du nucléaire suffisait à engager la transition énergétique. Ségolène Royal a semble-t-il reculé sur ce point, expliquant que l'objectif de 40% d'électricité renouvelable en 2030 revenait quasiment au même. "2030 est une échéance trop lointaine, il faut passer à l'action immédiatement, maintient Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace. Il faut abaisser la part du nucléaire pour laisser la place aux énergies nouvelles". Il regrette également que les sénateurs aient inclus, dans le plafonnement de la capacité nucléaire, l'EPR de Flamanville, alors que le texte initial conditionnait son ouverture à la fermeture d'une capacité équivalente.
Le projet de loi initial prévoyait également une réduction de moitié de la consommation d'énergie finale d'ici à 2050. A l'Assemblée nationale, à la demande de nombreux acteurs, un objectif intermédiaire a été adopté : baisser de 20% la consommation en 2030. Mais les sénateurs sont revenus sur ce point. Pourtant, "ce premier jalon est clairement indispensable pour s'obliger à mettre en place dès maintenant les politiques et mesures permettant de mettre la France sur la bonne trajectoire de lutte contre les gaspillages énergétiques et de développement des filières de l'efficacité", estime le collectif. "Le système énergétique actuel ne crée plus d'emplois alors que la transition est créatrice d'activité", souligne Claire Roumet.
Rénovation et transports : de véritables reculs
Symbole de la baisse de cette ambition : le volet consacré à la rénovation énergétique. "Fortement amélioré à l'Assemblée nationale", il a été en partie affaibli au Sénat. Ça avait pourtant bien commencé avec le vote de l'obligation de rénovation en cas de mutation (achat-vente) en 2030. Mais les élus de la Haute chambre ont souhaité exclure les bâtiments les plus anciens de l'obligation de tendre vers les performances des bâtiments neufs en cas de rénovation. Pour Pauline Mispoulet, PDG du Gesec (groupement de PME dans le domaine sanitaire-électricité-chauffage), c'est une véritable erreur : "Notre dépendance énergétique nous rend vulnérable. La précarité énergétique augmente".
Le volet mobilité était déjà le "parent pauvre de ce projet de loi" selon Gérald Dumas, secrétaire confédéral au développement durable à la CFDT. Mais les sénateurs sont en plus revenus sur les quelques mesures intéressantes. Ainsi, ils ont supprimé l'obligation, pour les entreprises de plus de 100 salariés, de réaliser des plans de déplacement. "L'impact positif de ces plans peut être considérable", analyse le syndicaliste. Celui-ci regrette que le projet de loi se limite aux innovations technologiques, oubliant les "innovations sociales".
Energies renouvelables, stratégie bas carbone : trop, c'est trop !
La stratégie bas carbone, qui permettra de piloter la décarbonisation de l'économie française, a été également retouchée par les sénateurs, qui ont souhaité exclure le méthane entérique, produit par les ruminants, des objectifs de réduction. Ce qui n'est pas anodin, souligne le collectif : le méthane représente 30% des émissions de l'agriculture. "Il n'est pas raisonnable de nier l'existence de ces émissions, et il est absurde d'interdire toute mesure visant à les réduire ou à en atténuer les effets", estiment les acteurs de la transition. Un point de vue largement partagé : au Sénat, le gouvernement, le groupe socialiste, les écologistes et même l'UDI ont souhaité revenir sur cette exclusion, sans succès.
Enfin, le projet de loi vise à couvrir, avec les énergies renouvelables, 32% de la consommation finale brute d'énergie en 2030 (40% de la production d'électricité, 38% de la consommation finale de chaleur, 15% de la consommation finale de carburants et 10% de la consommation de gaz). Les sénateurs ont adopté des mesures positives pour le développement des ENR, mais pas que… S'ils ont effectivement voté en faveur d'un raccourcissement des délais de raccordement et un assouplissement des contraintes liées aux installations militaires pour les éoliennes, ils ont doublé la distance minimale à respecter entre une éolienne et une habitation (1.000 m contre 500 jusque-là). "Ce qui revient à interdire 85% du territoire aux éoliennes", regrette Frédéric Lanoë.