"L'analyse qui a été conduite montre que le niveau de preuve de cancérogénicité [du glyphosate] chez l'animal peut être considéré comme relativement limité", conclut l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) dans
Suite aux évaluations divergentes du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de l'OMS et de l'Institut fédéral pour l'évaluation des risques (BfR) allemand, elle a été saisie sur la question par les ministères en charge de la consommation, de la santé, du travail, de l'écologie et de l'agriculture, ainsi que par les associations de consommateurs UFC-Que Choisir et CLCV.
En mars dernier, le Circ avait en effet classé le glyphosate comme cancérogène probable pour les Hommes (groupe 2A) à l'issue d'une analyse de publications scientifiques. Quelques mois plus tard, en novembre, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), s'appuyant sur un rapport du BfR, avait à l'inverse estimé qu'il était "improbable que le glyphosate présente un danger cancérogène pour l'Homme".
Cette évaluation entre dans le cadre de la procédure de renouvellement décennal de l'autorisation du glyphosate en Europe. Lors de cette dernière, l'Allemagne, désignée comme Etat membre rapporteur, avait mandaté le BfR pour mener les travaux. Son rapport avait ensuite été remis pour examen à l'Efsa. Cette dernière communiquant à son tour ses conclusions à la Commission européenne.
L'analyse du groupe d'expertise collective d'urgence de l'Anses n'a pu être réalisée "compte tenu des délais impartis", que sur les rapports des évaluations européennes et du Circ mais pas sur des données brutes.
Ses travaux doivent ensuite "permettre aux autorités françaises de proposer au niveau européen des mesures appropriées lors de l'examen du projet de décision de renouvellement de l'approbation", souligne l'Anses.
Pas de certitude sur une probable cancérogénicité
Si, dans ses conclusions, l'Agence considère que le niveau de preuve s'avère limité pour une classification comme cancérogène avéré ou présumé pour l'être humain, en revanche elle reste mesurée concernant son potentiel statut de cancérogène probable. "Au vu du niveau de preuve limité, la classification en catégorie 2 peut se discuter sans que l'Agence puisse se prononcer sur ce point en l'absence d'une analyse détaillée de l'ensemble des études, explique-t-elle.
Le groupe d'experts de l'Anses a également estimé peu probable l'effet du glyphosate sur la perturbation endocrinienne des voies dépendantes de la régulation œstrogénique. "Des études complémentaires pourraient confirmer cette hypothèse", note-t-il.
De la même manière, il reste prudent dans son positionnement sur les mécanismes d'action conduisant à la toxicité. "Les preuves pour affirmer qu'un mécanisme oxydant a réellement lieu in vivo après exposition au glyphosate, et que celui-ci est directement induit par le glyphosate, sont insuffisantes mais on ne peut l'exclure, expliquent les experts. Cet effet pourrait être à l'origine de l'induction de cassures de brins d'ADN mis en évidence dans le test des comètes in vitro. Ce point mériterait d'être évalué avec la plus grande attention dans le cadre des discussions sur le classement de la substance active qui auront lieu sous la responsabilité de l'Echa [l'Agence européenne des produits chimiques]".
Pour l'Anses, l'explication de l'écart de conclusions entre les deux institutions réside notamment dans le socle différent des études utilisées (uniquement des articles publiés dans la littérature scientifique "ouverte" pour le Circ contre - pour la procédure d'évaluation européenne - des études expérimentales requises par le règlement n°1107/2009, exceptionnellement publiées dans des revues à comité de lecture, complété d'une revue de la littérature scientifique) mais également dans le choix des critères d'interprétation. "Ce qui fait la différence dans les appréciations relatives des deux comités d'experts c'est comme souvent dans l'interprétation des études épidémiologiques, les poids respectifs de la précaution scientifique, développent les experts de l'Anses. En l'absence de certitude on ne conclut pas à la nocivité d'un produit - c'est l'attitude du BfR - et la précaution sanitaire - que l'on retrouve dans le principe de précaution : en présence de présomption, on met en garde contre un danger, même si cette mise en garde est exagérée- c'est l'attitude du Circ".
Dans son rapport de novembre, l'Efsa pointait également une approche différente de la classification des produits chimiques : la procédure d'évaluation européenne évalue chaque substance chimique individuelle et chaque mélange commercialisé, de manière séparée, tandis que le Circ examine des agents génériques, y compris des groupes de produits chimiques connexes. L'Autorité européenne indiquait alors qu'il est "probable que les effets génotoxiques observés dans certaines formulations contenant notamment du glyphosate soient liés aux autres constituants ou coformulants".
Un besoin de recherche sur les préparations contenant du glyphosate
La question des coformulants constitue précisément le second pan de la mission : l'Anses a en effet demandé à ses experts de se pencher sur la robustesse des études de génotoxicité des évaluations du BfR et s'il était nécessaire de mener des études supplémentaires sur les formulants et/ou les préparations à base de glyphosate. Les résultats devraient faire l'objet d'un rapport additionnel en avril 2016.
En parallèle, l'Agence a également mis en place un groupe de travail sur les risques liés aux coformulants présents dans l'ensemble des préparations phytopharmaceutiques, avec une priorité donnée aux préparations à base de glyphosate. Elle a aussi prévu la réévaluation des préparations associant glyphosate et des adjuvants de la famille des tallowamine. En jeu, le respect de l'article 29 du règlement n°1107/2009 qui demande à ce que "l'interaction entre la substance active, les phytoprotecteurs, les synergistes et les co-formulants doit être prise en compte lors de l'évaluation des produits phytopharmaceutiques".
Dans un communiqué, Ségolène Royal a indiqué avoir pris acte des conclusions de l'Anses. La ministre souhaite que l'Agence "réexamine immédiatement l'ensemble des préparations de glyphosate contenant ces coformulants [de la famille des tallowamines] et l'invite à retirer d'ici la fin du mois de mars les autorisations de mise sur le marché des préparations phytopharmaceutiques contenant ces coformulants présentant des risques préoccupants".
L'association Générations futures a rejoint la position de la ministre concernant l'interdiction des tallowamines et souhaite l'étendre. "De nouveaux adjuvants tout aussi problématiques pour la santé ont été développés ces dernières années par des firmes comme Monsanto. Il faut aussi interdire sans délai les préparations associant glyphosate et ces autres adjuvants, dans un souci de cohérence et d'efficacité", a indiqué François Veillerette, porte-parole de Générations Futures.