Réduire le cheptel bovin et la consommation de viande en France : en pleine concertation sur le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, la récente proposition de la Cour des comptes risque de susciter quelques crispations, notamment au sein de la FNSEA. Mais la juridiction financière, qui s'était jusqu'à présent plutôt penchée sur les appuis à l'agriculture biologique ou sur les soutiens à l'installation, a quelques arguments à faire valoir. Dans un rapport publié lundi 22 mai, celle-ci met en effet en lumière l'inadéquation entre les aides octroyées à l'élevage bovin, entre 2015 et 2022, et le bénéfice qui en résulte : pour les agriculteurs comme pour l'environnement.
Alors que ces exploitations ne représentent qu'un tiers du total du secteur agricole, en occupant globalement la même proportion de surface agricole utile, elles demeurent « de loin » les plus subventionnées du secteur, note son étude. Chaque année, elles absorbent ainsi 4,3 milliards d'euros d'aides publiques, issues principalement de la politique agricole commune (PAC). En 2020, une exploitation d'élevage de bovins pour la viande a ainsi perçu, en moyenne, 50 300 euros au titre de la PAC. Une exploitation pour le lait en a reçu 36 000. À ces versements s'ajoutent d'autres aides sociales et fiscales, ainsi que des soutiens à l'investissement ou pour faire face aux urgences, en cas de crise.
Un modèle économique fragile
Cet appui massif permet à la France d'occuper la deuxième place européenne pour la production de viande et le deuxième rang pour la production de lait, mais il ne garantit pas pour autant la pérennité de ces entreprises. « Le modèle économique des exploitations d'élevage apparaît fragile et sa viabilité reste dépendante du niveau élevé d'aides publiques », soulignent les analystes. Sans ces dernières, d'ailleurs captées en partie par d'autres acteurs, en amont et en aval de la filière, 90 % des exploitations allaitantes et 40 % des exploitations laitières présenteraient un résultat courant avant impôt négatif, estime le ministère de l'Agriculture.
Des paradigmes à revoir
Le scénario Afterres 2050, réalisé par l'association Solagro, retient que le stockage de carbone dans les prairies permet d'effacer entre 15 et 20 % des émissions bovines seulement, soit 8,5 MtCO2éq par an. L'élevage reste ainsi responsable de 11,8 % des émissions d'équivalents CO2 du pays. Autant que le bâtiment résidentiel. Dans sa mesure de la contribution de l'agriculture à la lutte contre le réchauffement climatique, le Plan stratégique national de la PAC aurait même recours à des indicateurs non pertinents. « L'augmentation des surfaces de prairies ne conduit pas à réduire les émissions de GES si elle s'accompagne d'un cheptel supplémentaire émettant toujours davantage de GES que sa prairie n'en stocke », observe le rapport.
Le scénario Afterres 2050 estime que la disparition d'une vache laitière et la conversion en culture de sa prairie d'un hectare augmente les émissions de carbone d'une tonne de carbone par an, puisque la prairie ne stocke plus. Mais que les émissions entériques baissent dans le même temps de trois tonnes de carbone par an. Le bilan de la disparition d'une vache serait donc largement positif du point de vue des émissions de GES. Pour la Cour des comptes, le respect des engagements de la France en matière de réduction des émissions de méthane, souscrits en 2021 via l'accord international Global Methane Pledge, soit - 30 % d'ici à 2030 par rapport au niveau de 2020, appelle ainsi nécessairement une réduction importante du cheptel.
Moins de viande au menu
Cette stratégie devra être clairement définie et rendue publique, en tenant compte des objectifs nationaux de santé publique, d'aménagement du territoire et de souveraineté alimentaire. Un dernier item particulièrement défendu par les sénateurs dans la proposition de loi Compétitivité de la ferme France, adoptée mardi 23 mai. « Cette réduction peut être aisément conciliée avec les besoins en nutrition des Français, un tiers d'entre eux consommant davantage que le plafond de 500 g par semaine de viande rouge préconisé par le Plan national nutrition santé », soulignent les rapporteurs.
Ces derniers préconisent en parallèle de clarifier la politique de soutien à l'élevage bovin en visant de meilleures performance économiques et socio-environnementales. Un modèle inscrit dans la droite ligne de la position du collectif Nourrir demain, opposé aux productions animales industrielles. « L'activité d'élevage a toute sa place dans un système agricole et alimentaire durable (…), à condition de répondre à certaines exigences : conservation de fermes à taille humaine, garantie du respect des écosystèmes, maintien de conditions de travail et de rémunération viables, respect du bien-être des animaux, adaptation aux besoins des territoires », argumente-t-il. Dans cette optique, la Cour des comptes propose d'accompagner les exploitations qui présentent un potentiel suffisant vers un modèle d'élevage performant et durable, tout en incitant les autres à se reconvertir.
Un parti pris qui agace particulièrement la FNSEA. « En France, près de 25 % de la viande bovine est importée », rappelait son nouveau président, Arnaud Rousseau, sur France Info, ce mercredi 24 mai, tandis que sa Fédération nationale bovine pointait, de son côté, les 24 000 tonnes de viande australienne susceptibles d'accéder au marché européen via un nouvel accord de libre-échange. Sur ce point, elle est rejointe par son ministre de l'Agriculture, qui interrogeait, mardi, sur Twitter : « Le discours sur la décroissance forcée, portée comme politique publique, est curieux pour ne pas dire hors des réalités, quand on sait que la France n'est autosuffisante pour aucune filière animale. Serait-ce à dire que certains assumeraient de voir renforcer nos importations, baisser notre souveraineté alimentaire au profit de formes d'agriculture que nous ne voulons pas ? » Ce faisant, Marc Fesnaul contredit sa Première ministre, elle-même, qui annonçait la veille, dans le cadre de la présentation de la stratégie climat du Gouvernement, la nécessité de réduire de quelque 5 MtCO2 le budget carbone annuel de l'élevage à l'horizon 2030...