La sortie de crise n'en finit pas de faire parler d'elle. C'est au tour du Haut Conseil pour le Climat (HCC) de se prononcer sur ce qui devrait être mis en place pour assurer une relance verte. Dans un rapport publié mercredi 22 avril issu d'une auto-saisine, les 13 membres de cette instance indépendante alertent sur l'importance d'un soutien économique compatible avec l'objectif de neutralité carbone de la France. « La réponse du Gouvernement à la crise sanitaire du Covid-19 doit soutenir la transition bas-carbone juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques », prévient le HCC dans son rapport spécial, intitulé « Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir ».
Tout est lié, estiment les experts : « La crise actuelle rappelle de façon brutale notre fragilité, notre manque de préparation et de prévention, et met en évidence nos vulnérabilités. Ces dernières sont la conséquence de choix politiques qui ont conduit à des modifications écologiques, sociales et économiques majeures. Les causes structurelles de l'épidémie sont aussi les causes du changement climatique notamment la pression insoutenable que nous exerçons sur les milieux naturels. Nous devons donc remédier aux causes profondes de cette situation », argumente Corinne Le Quéré, climatologue franco-canadienne et présidente du HCC.
La probabilité d'un rebond carboné est majeure
Pour le HCC, il est donc essentiel de placer la neutralité carbone au cœur des plans post crise du Covid-19 et d'accentuer les stratégies d'atténuation des émissions de carbone et d'adaptation. « Il ne faut surtout pas compter sur la baisse de 30 % des émissions de CO2 observée pendant le confinement. Elle n'est pas durable car elle n'est pas le résultat d'un changement structurel », prévient Corinne Le Quéré. Cette pause ne représentera qu'une baisse de 45 millions de tonnes de CO2, soit 5 à 15 % d'ici la fin de l'année avec une forte incertitude due au déroulement du deuxième semestre.
La probabilité d'observer un rebond est donc très élevée, à l'image de ce qui est advenu au lendemain de la crise financière de 2008. Les émissions mondiales de CO2 liées à l'énergie et au climat avaient baissé de 1,4 % en 2009 avant d'augmenter de 5,9 % en 2010 (-4,2 % en 2009 et +3,4 % en 2010 pour la France). Le Haut conseil estime même que la relance post 2008 est à l'origine des écarts observés aujourd'hui entre les objectifs de la stratégie bas-carbone française et la réalité, notamment dans le secteur des transports. « L'Urgence climatique n'est en rien retardée par la crise du Covid, estime Mme Le Quéré. Avant la crise, les émissions françaises baissaient de 1,1 % par an mais c'était déjà deux fois moins que prévu. Il faut utiliser les investissements post-Covid pour accélérer cette réduction et reprendre le bon rythme ».
18 recommandations
À l'heure du vote d'un deuxième projet de loi de finances rectificative prévoyant 20 milliards d'euros d'aides publiques à plusieurs secteurs économiques, le HCC recommande de conditionner les investissements à l'adoption de plans précis pour l'atteinte de la neutralité carbone dans les secteurs concernés. « Plus ces plans seront précis, plus les contraintes seront claires avec des critères d'évaluation nombreux, et plus elles ont de chance d'être effectives », explique Corinne Le Quéré. Pour l'aviation par exemple, la climatologue estime que cette contrainte pourrait prendre la forme d'une stratégie détaillée pour atteindre la neutralité carbone, d'autant plus que pour ce secteur le challenge est de taille : « L'aviation est un secteur difficile car il n'a pas de solution technologique pour atteindre cette neutralité carbone. Les technologies évoluent lentement à cause de la sécurité aérienne. C'est un secteur dépendant de la compensation carbone. C'est le seul secteur où une diminution de la demande faciliterait l'atteinte de la neutralité carbone. Il faut donc réfléchir à comment et à quel niveau on souhaite faire repartir ce secteur. Il faut un plan détaillé avec une discussion ouverte et publique ».
Le HCC propose 18 pistes pour assurer une relance verte et non pas grise. Il espère être entendu rapidement mais ne cache pas ses craintes : « Dans l'urgence, le risque est de retourner assez rapidement sur ce que l'on sait faire, nos méthodes d'avant, car c'est rassurant. Or, il faut canaliser les efforts vers les pratiques à neutralité carbone ; mais ça ne va pas se faire de soi », prévient Corinne Le Quéré. La volonté politique devra être d'autant plus marquée.