C'est désormais un exercice récurrent : le Haut conseil pour le climat (HCC) vient de rendre public et de transmettre au Gouvernement son rapport annuel. Cet exercice d'analyse instructif fait le point sur les émissions de carbone de la France par rapport aux objectifs de sa stratégie bas-carbone (SNBC). Et cette année, sa publication intervient alors que les ambitions européennes en la matière ont été rehaussées et qu'elles seront bientôt partagées entre États membres, relevant de facto les objectifs français. La France va-t-elle pouvoir s'aligner ? Premiers éléments de réponse.
Des efforts trop lents
Première remarque : la tendance à la baisse des émissions françaises de gaz à effet de serre s'est légèrement accentuée en 2019, avec une diminution de 1,9 %, soit -8,6 Mt éqCO2, pour 436 Mt éqCO2 émis sur le territoire. Selon le HCC, des progrès ont été réalisés, dont certains d'ordre structurel, dans les secteurs du bâtiment, de l'industrie et de la transformation d'énergie, suivis de l'agriculture, alors que les transports voient leurs émissions stagner.
Les données 2019 sont donc encourageantes. La réduction des émissions va plus vite que ce que prévoit le budget carbone pour 2019-2023. Rappelons toutefois que ce dernier a été relevé par rapport à la première version de la SNBC. L'objectif de baisse pour 2019 n'était que de 0,3 %. Et il ne faudra pas compter sur la baisse des émissions de 2020, totalement conjoncturelle en raison de la pandémie, pour contribuer à ce budget. Un rebond d'émissions est attendu pour 2021.
Résultat, avec le retard accumulé, la France va devoir accélérer le rythme de réduction de ses émissions. Ce dernier devra pratiquement doubler pour atteindre au moins 3,0 % de baisse dès 2021 (-13 Mt éqCO2) et 3,3 % en moyenne sur la période du troisième budget carbone (2024-2028).
Rapprocher les échéances
Pour accélérer le rythme, le HCC préconise de pérenniser les efforts consentis dans le cadre du plan de relance. « Ces investissements (rénovation des bâtiments, développement des transports en commun, développement de l'hydrogène décarboné, etc.) sont indispensables à la transition bas-carbone. Les inscrire dans la continuité permettrait de rassurer les investisseurs et de créer de nouvelles filières et de nouveaux emplois », estime le HCC. Une mesure bien reçue par Matignon qui promet de défendre ce principe lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2022. « On retient du rapport du HCC que le niveau d'investissement est le bon », note le porte-parole du Premier ministre.
Car les politiques publiques sont encore insuffisamment alignées sur les 22 orientations sectorielles de la SNBC, remarque le HCC. Surtout celles des transports et de l'agriculture. « Le prix du carbone européen ne sera pas suffisant, il ne dispense pas de renforcer les mesures », prévient Corinne Le Quéré, présidente du HCC. Les horizons temporels des mesures contraignantes doivent être rapprochés selon les scientifiques : par exemple, la date d'arrêt de vente des véhicules thermiques pourrait être avancée à 2030 comme au Royaume-Uni. Les malus sur le poids des véhicules devraient s'appliquer plus rapidement à des catégories de véhicules significatives. La sortie des énergies fossiles pour le chauffage des bâtiments devrait être annoncée, ou les exemptions de taxes sur le fioul, notamment à usage agricole, levées.
Pour l'instant, le Gouvernement mise sur les mesures déjà en vigueur et qui pourraient encore monter en puissance et produire des effets plus importants que prévu dans les scénarios de la SNBC : « En 2020, 11 % des véhicules neufs vendus sont électriques, c'est plus que ce qui a été anticipé », se réjouit Matignon. Le Gouvernement attend aussi les nouvelles mesures de l'Union européenne comme le renforcement des normes d'émission des véhicules et l'élargissement du périmètre du marché carbone.
Miser dès maintenant sur l'adaptation
Dans un contexte où les effets du changement climatique se font déjà sentir, l'atténuation des émissions doit aller de pair avec des mesures d'adaptation selon le HCC qui, cette fois-ci, consacre un important chapitre à ce sujet. « Il faut être proactif dans notre adaptation au changement climatique, conseille Corinne Le Quéré. Notre plan d'adaptation (PNACC) doit se transformer en stratégie nationale avec des objectifs quantifiés et des délais précis », estime-t-elle, rappelant au passage que le contexte européen est prometteur puisque la Commission européenne vient de présenter une stratégie en la matière révisable tous les cinq ans. Le Gouvernement entend reprendre à son compte ce conseil et envisage de donner plus de cohérence au sujet de l'adaptation entre le plan national, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la SNBC : « Nous allons les renforcer dans les 18 mois », promet-il.
« Certaines politiques publiques pourraient être rangées dans l'adaptation (inondation, érosion côtière), en intégrant dans les documents de planification du territoire le climat qui change », détaille Magali Reghezza-Zitt, géographe spécialiste de l'environnement et des catastrophes naturelles, membre du HCC. Mais attention. Si les conséquences climatiques sont régionalisées, il faut un pilote national : « L'adaptation va nécessiter de la solidarité régionale, des transferts, de la délocalisation. On est donc dans un enjeu national d'aménagement du territoire. Il faut une gouvernance multi échelle », plaide Magali Reghezza-Zitt. En réponse, le Gouvernement avance les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) qui, selon lui, pourraient être un bon outil de déclinaison régional du sujet de l'adaptation.
Mais les promesses du Gouvernement risquent de ne pas convaincre Greenpeace, qui fait une lecture très sombre du rapport du HCC : « Comme dans ses précédentes publications, le HCC souligne ce que le Gouvernement et Emmanuel Macron sont les derniers à faire semblant d'ignorer : leur inaction pèse lourdement sur la trajectoire climatique de la France », estime l'association. « À la lecture de ce rapport, l'attentisme caractéristique de ce quinquennat devient frappant. L'affaiblissement du second budget carbone, qui fixe les plafonds d'émissions à ne pas dépasser pour la période 2019-2023, combiné au rehaussement de l'objectif européen pour 2030, prépare un cocktail explosif pour le prochain exécutif », estime Clément Sénéchal, chargé de campagne climat pour Greenpeace France.