"Nous ne pourrons pas nourrir 9,5 milliards de personnes en 2050." Telle la première des cinq idées reçues sur l'agriculture, l'alimentation et les forêts que le ministère de l'Agriculture entend "[passer] au crible des connaissances actuelles pour présenter un point de vue documenté". Le rapport de 25 pages, daté de février 2014 et rédigé par le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), conclut que "nous disposons des techniques et des ressources naturelles nécessaires pour nourrir 9,5 milliards de personnes en 2050".
Il est "inexact" de dire qu'il sera impossible de nourrir 9,5 milliards de personnes en 2050, estime le ministère de l'Agriculture. Certes, les organismes qui étudient le sujetaboutissent à des estimations très différentes, mais au-delà de la taille de la population, il faut tenir compte de sa structure, de sa répartition dans l'espace, de ses revenus et des régimes alimentaires que les personnes choisissent, explique le ministère. Or, les rythmes de croissance de la population chinoise, indienne, sub-saharienne ou européenne diffèrent et "annoncent par conséquent des défis agricoles, alimentaires, énergétiques contrastés pour les différents ensembles régionaux". Le problème apparaît donc comme un enjeu local plutôt que global.
Décalage entre lieux de production et de consommation
Se basant notamment sur les travaux de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le CGAAER estime que "le monde produit suffisamment de nourriture pour alimenter douze milliards de personnes". Néanmoins, compte tenu du gaspillage et des pertes de nourriture de la fourche à la fourchette, "il faudra produire plus" pour satisfaire les besoins alimentaires futurs. Plus précisément, "il faudra produire de façon plus régulière dans le temps, mieux répartie dans l'espace. Il faudra aussi consommer moins de ressources en s'attachant en particulier à gaspiller moins de nourriture".
Dans ce contexte, le décalage entre les lieux de production excédentaires et les zones où vivent les populations souffrant de faim constitue un élément essentiel et l'enjeu devient l'ajustement d'une offre alimentaire globalement suffisante. La lutte contre la pauvreté et le développement du commerce international deviennent ici des enjeux essentiels, estime le ministère.
Quant aux migrations, qualifiées de "voie d'adaptation de la demande de ceux qui ont faim dans les pays en développement à une offre pléthorique dans les pays développés", elle a constitué "de tous temps (…) le moyen le plus spontané de gérer ces difficultés". Il s'agit d'une situation que "vit déjà" la France. "La France est solidaire d'une Europe qui freine son potentiel de production agricole", juge le ministère qui souligne que "dans le même temps, de l'autre côté de la Méditerranée, l'Afrique du nord, (…) a besoin d'importer toujours davantage de produits alimentaires".
Terres et eau en abondance
Par ailleurs, il est aussi "inexact" de dire que nous allons manquer de terre. "Depuis 50 ans, la production agricole a été multipliée par un facteur compris entre 2,5 et 3", explique le CGAAER, précisant que "l'augmentation des rendements et l'intensité culturale y ont contribué pour 85%, l'accroissement des surfaces agricoles pour 15%". Or, il resterait, selon les sources, de 500 millions à 2,5 milliards d'hectares disponibles pour l'agriculture, alors que la surface actuellement cultivée est de 1,6 milliard d'hectares. Bien sûr, "ce potentiel est très inégalement réparti" et "un tiers des terres agricoles sont moyennement ou très dégradées", mais les terres nécessaires sont disponibles, assure le ministère.
De même, il est "globalement inexact" d'anticiper un manque d'eau, indique le rapport qui explique qu'il s'agit d'une ressource abondante, mais "fort mal répartie". Il convient donc de mieux gérer la ressource et de maintenir les droits et l'accès à l'eau des populations rurales, estime le ministère qui met en avant le dialogue entre acteurs pour y parvenir. De même, les pratiques agro-écologiques et l'amélioration de l'offre par le stockage de l'eau offrent des solutions.
Les biotechnologies peuvent être utiles
Quant à savoir si les OGM sont nécessaire pour nourrir le monde de 2050, le ministère fait une réponse étrange : "qui sait ?". En réalité, le rapport passe en revue les arguments des opposants et déploie un argumentaire favorable aux OGM. Les OGM présentent un risque pour la santé ? "Aujourd'hui, aucune étude scientifique sérieuse ne confirme ces craintes".
Les OGM sont néfastes pour la biodiversité ? C'est plutôt "l'utilisation efficace des herbicides mis en œuvre sans être liée directement aux OGM eux-mêmes" qui est en cause. Sans compter que "[la] diversité génétique [du riz cultivé au Népal] a augmenté grâce aux variétés nouvelles ayant incorporé des gènes différents inexistants dans les espèces locales". Mieux encore, "le principal atout des OGM, (…) serait d'assurer un meilleur respect de l'environnement par une diminution de l'utilisation des pesticides", explique le CGAAER qui admet que l'idée est contestée mais passe sous silence les arguments de la contestation.
La dissémination de gènes par le pollen constitue un risque ? "En respectant quelques conditions (…) la coexistence des cultures non OGM avec des cultures OGM est possible", explique le rapport qui cite l'avis du Haut conseil des biotechnologies. Les adventices deviennent résistants aux pesticides ? Cette résistance "peut être assez facilement gérée en alternant cultures et/ou herbicides" ou en créant "[des] zones refuges, à proximité des cultures OGM, permet de favoriser l'accouplement entre insectes sensibles et insectes résistants".
En conclusion, le ministère considère que "les biotechnologies peuvent être utiles pour lutter contre la faim dans le Monde".
Les agrocarburants ne concurrencent pas l'alimentation
Enfin, il est "inexact" de dire que les agrocarburants affament le monde. Revenant sur le débat relatif àla compatibilité du développement des biocarburants avec le potentiel de terres cultivables, le ministère explique que "ceux qui mettent en cause le développement des biocarburants en Europe s'appuient sur une étude de l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri) [,] étude (…) aujourd'hui largement remise en cause par des chercheurs qui critiquent (…) le modèle utilisé".
Selon le CGAAER, l'étude de l'Ifpri, réalisée pour le compte de la Commission européenne et servant de base à l'actuelle révision de la législation européenne, "[ignore] des données importantes", critique le ministère qui met en avant "de nouveaux travaux particulièrement utiles aux débats". C'est le cas d'une étude de l'Institut national de recherche agronomique (Inra) qui conclut "à une diminution de 80% des changements d'affectation des sols (CAS) et des émissions de gaz à effet de serre (GES) associées", par rapport aux chiffres de l'Ifpri. Et de conclure que le développement des agrocarburants ne concurrencerait pas l'alimentation humaine.