Ce vendredi 12 juillet, le comité scientifique a publié les conclusions de ses investigations menées, depuis février, sur les causes possibles, notamment environnementales, des cas d'enfants nés avec une malformation des membres supérieurs ("bébés sans bras") recensés en France. Plusieurs cas groupés d'agénésies transverses des membres supérieurs (ATMS) ont été signalés dans les départements de l'Ain, du Morbihan et de la Loire-Atlantique, ces dernières années. Huit cas dans l'Ain entre 2009 et 2014, trois en Loire-Atlantique entre 2007 et 2008, et quatre dans le Morbihan entre 2011 et 2013.
Le comité d'experts scientifiques, composé d'une vingtaine de membres, est présidé par Alexandra Benachi, chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine). Devant la presse, au ministère de la Santé, Mme Benachi a présenté les conclusions du rapport volumineux des experts (265 pages) et leurs recommandations. Leurs travaux ont été menés "en toute indépendance et transparence" et ont impliqué "l'ensemble des parties prenantes", a souligné Mme Benachi.
Validation statistique pour confirmer les cas signalés
L'ATMS est une malformation "rare", a-t-elle rappelé. Son incidence est estimée à 1,7 pour 10.000 naissances totales. Soit environ 150 naissances par an en France, touchées par ce type de malformations : une main, un bras ou un avant-bras manquant au cours du développement de l'embryon. Le taux de prévalence des ATMS est "globalement stable" en France mais aussi en Europe, selon le réseau "Eurocat" de surveillance européen des malformations congénitales. "Aucune tendance paneuropéenne significative en matière de prévalence des anomalies réductionnelles du membre n'a été observée au cours des 10 dernières années", ajoutent les scientifiques.
Le comité d'experts a validé trois cas d'ATMS en Bretagne, dans la commune de Guidel (département du Morbihan) recensés dans une période de 18 mois entre 2011 et 2013. Il a confirmé "la suspicion de cluster" (ou "agrégat spatio-temporel") pour ces cas qui "répondent à la définition d'ATMS". C'est-à-dire qui implique le "regroupement statistiquement significatif" des cas signalés, "dans le temps" (18 mois d'intervalle) et "l'espace" (la même commune) au sein d'une population localisée.
"C'est la survenue de cas groupés dans le temps et dans l'espace, supérieurs au nombre attendu, qui constitue un signal pouvant justifier de mener des investigations complémentaires", a ajouté la présidente du comité. Ces investigations vont donc être menées pour "rechercher d'éventuelles expositions environnementales communes" au niveau des cas groupés du Morbihan.
Pas d'investigations supplémentaires dans l'Ain
S'agissant de l'Ain, le comité d'experts a confirmé six cas d'ATMS entre 2011 et 2015 mais n'a pas conclu, "après analyse statistique, qu'il s'agissait d'un cluster". Il n'a pas pris en compte les cinq cas nés avant 2011, signalés par le registre des malformations en Rhône-Alpes (Remera), estimant que "le recueil rétrospectif des cas sur cette période pose la question de leur exhaustivité". En octobre dernier, Santé Publique France avait aussi refusé de reconnaître un agrégat de malformations dans l'Ain. "Dans ce département, 13 cas dans 13 villages différents entre 2006 et 2015 ont été signalés", a justifié Mme Benachi. Le comité a donc estimé qu'il "n'y avait pas d'excès de cas dans l'Ain". Emmanuelle Amar, responsable du Remera, est à l'origine de l'alerte sur ces malformations qui a poussé le gouvernement a lancé cette enquête. Mme Benachi a assuré que le comité a utilisé la même méthode du scan spatio-temporel (Kulldorff, 1998) que le Remera pour réaliser les analyses statistiques.
La surveillance des anomalies congénitales est assurée par six registres en France incluant le Remera. Ces registres "ont vocation à collecter l'information de manière exhaustive et s'assurer de la qualité de ces données", a expliqué Mme Benachi. Les registres français, à l'exception du Remera, participent au recueil de données d'Eurocat qui est "de qualité", a-t-elle poursuivi. Les experts ont aussi insisté pour récupérer, auprès des registres, les dossiers médicaux (informations anonymes) pour confirmer les clusters. Mais le Remera ne les aurait pas transmis au comité.
Le département de Loire-Atlantique, quant à lui, ne dispose pas de registre des malformations. La collecte et l'examen des dossiers médicaux des trois cas signalés "est en cours", a ajouté Mme Benachi. Le comité tranchera sur ces cas d'ici la fin de l'année.
Les recherches continuent sur les origines environnementales
Des investigations complémentaires vont être menées à Guidel dans le Morbihan par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et Santé publique France. Celles-ci porteront sur les pesticides épandus à l'époque des grossesses des mères concernées (existence ou non d'essais conduits en plein champ). Le comité recommande aussi de vérifier les analyses portant sur la qualité de l'environnement près du domicile des familles (eau, air, sol).
Une revue approfondie de la littérature (21.000 publications scientifiques identifiées à l'échelle mondiale), a aussi été débutée par l'Anses et Santé publique France, pour "mieux caractériser" les éventuels facteurs de risque environnementaux. Plus de 1.500 articles scientifiques ont à ce jour été analysés, a précisé Roger Genet, directeur général de l'Anses, durant la conférence de presse. Cela nécessitera au moins "12 à 18 mois" pour les experts de passer en revue les 20.000 articles, a-t-il ajouté. Cette analyse bibliographique "inédite en France" devrait permettre "de hiérarchiser les facteurs de risque présentant un intérêt", estime le comité. La recherche des substances chimiques réglementées "pouvant conduire à des ATMS" se poursuit aussi. Il s'agit de produits biocides, de produits phytopharmaceutiques et d'autres substances soumises au règlement européen Reach. Auxquels s'ajoute l'étude de médicaments vétérinaires et d'expositions médicamenteuses pendant la grossesse.
Tous ces travaux en cours feront l'objet d'un second rapport publié par le comité d'experts. Ce rapport n'est pas attendu avant "fin 2020", estime Roger Genet.
Le comité n'a pas retenu le lancement d'une enquête épidémiologique de grande ampleur, "qui nécessiterait plusieurs dizaines d'années d'observations". La réalisation d'analyses génétiques a aussi été écartée pour identifier les causes des malformations. "On ne peut pas considérer comme ATMS les anomalies liées à des brides ou des maladies génétiques", a prévenu Mme Benachi. "Ce diagnostic d'ATMS étant difficile, il doit être posé par un médecin généticien d'un des centres de référence maladies rares labellisés pour les anomalies du développement".
Une feuille de route du ministère de la Santé attendue à l'automne
Le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, a salué "la poursuite de la mobilisation de l'expertise nationale". Il a annoncé qu'"une feuille de route des actions à mener sera proposée à l'automne". Celle-ci sera présentée au comité d'orientation et de suivi qui regroupe les parents d'enfants concernés et les responsables des registres régionaux. Plusieurs familles interrogées et Emmanuelle Amar, la responsable du registre en Rhône-Alpes, ont fait part de leur déception, après ce premier rapport du comité.