La production européenne de déchets dangereux « ne cesse d'augmenter depuis 2004 », déplore la Cour des comptes européenne dans un rapport d'analyse (1) publié ce lundi 16 janvier. « L'Union européenne (UE) doit se saisir du problème », avertit l'institution, qui estime que cette production croissante pose des « défis » en termes de classification, de traçabilité et de recyclage. Surtout, ces déchets font l'objet d'un trafic lucratif et peu risqué.
La production de déchets dangereux découplée de la croissance
Depuis 1991, l'UE a fait de la prévention des déchets une priorité. Mais, malgré les politiques publiques spéciales, la production de déchets dangereux continue de croître. La Cour note que cette production est passée de 80,8 à 101,7 millions de tonnes sur la période 2004 à 2018 (les données de l'année 2020 sont provisoires et marquées par le Covid). Cette progression de 26 % est supérieure à la croissance européenne cumulée sur la même période (20 %) et surtout à l'augmentation de la production globale de déchets (4 %). La Cour considère que ce découplage (lié en partie à la hausse de la consommation et à l'accélération technologique) devrait persister et engendrer de nouvelles hausses des volumes de déchets dangereux.
La Cour note aussi que plus de la moitié des déchets dangereux de l'UE sont éliminés, plutôt que recyclés ou valorisés énergétiquement. Plus précisément, 34 % sont recyclés. Pourtant, plusieurs catégories de déchets classés comme dangereux se recyclent : les véhicules hors d'usage (VHU), certains déchets chimiques (70 % des solvants peuvent être régénérés) ou encore les déchets électriques et électroniques.
Des trafics peu détectés et peu sanctionnés
Surtout, « face à la charge administrative et aux surcoûts engendrés, les opérateurs économiques peuvent (…) préférer ne pas déclarer leurs déchets comme dangereux, mais s'en débarrasser illégalement », constate la Cour. Le rapport cite notamment un coût médiant de gestion des déchets dangereux de 238 euros la tonne, contre un coût de 63 euros pour les déchets non dangereux. L'élimination illégale de déchets dangereux est donc devenue « une pratique répandue en matière de trafic illégal de déchets ». Ces déchets peuvent être déversés dans des sites autorisés en dehors des normes légales, ou abandonnés dans des chantiers de construction ou des champs agricoles, ou encore déversés dans des sites non autorisés ou dans des carrières.
Concrètement, certains déchets dangereux ne sont pas déclarés comme tel. Par exemple, Bruxelles estime qu'en 2017 3,8 millions de véhicules en fin de vie « ont disparu du marché légal », composé de 6,6 millions de VHU convenablement traités et de 0,9 million officiellement exportés. La Cour note aussi que, faute d'une traçabilité convenable, il existe un écart de 21 % entre les déclarations des quantités de déchets dangereux générés et les déclarations des quantités traitées.
Globalement, elle estime que ces trafics génèrent des recettes annuelles comprises entre 1,5 et 1,8 milliard d'euros. Et « il est rare que ces pratiques soient détectées et qu'elles donnent lieu à des enquêtes, puis à des poursuites, et les sanctions sont légères », ajoute la Cour.
Harmoniser et tracer pour fermer la porte aux trafics
Pour y remédier, la priorité doit être accordée à l'amélioration de la classification et de la traçabilité des déchets. Le hic : « les déchets dangereux sont classés différemment d'un État membre à l'autre », regrette la Cour des comptes, qui recommande à la Commission européenne d'intensifier ses efforts pour harmoniser la législation applicable dans l'UE. En outre, la Cour souhaiterait aussi que les registres électroniques nationaux sur les déchets dangereux soient compatibles avec le futur registre européen sur les transferts de déchets, afin d'améliorer la traçabilité. Ces deux mesures permettraient de « fermer des portes au trafic ».
De la même manière, le rapport est favorable à l'interdiction d'exportation des déchets destinés à être éliminés. Cette mesure, proposée par la Commission en 2021, « pourrait mettre un frein supplémentaire au trafic de déchets dangereux ».
Quant au recyclage des déchets dangereux, il est considéré comme la solution idéale. Mais la Cour rappelle que cette solution « se heurte à des obstacles techniques et au manque de débouchés commerciaux ». Pourtant, l'amélioration de la gestion de certains de ces déchets pourrait représenter un atout pour l'Europe. Et de citer l'exemple de la récupération des matières premières critiques dans les déchets électroniques.