Afin d'illustrer les coûts engendrés par la perte de biodiversité, le rapport TEEB fournit quelques indications chiffrées illustrant les enjeux économiques. Ainsi, la surexploitation des réserves halieutiques par rapport à un scénario de pêche durable entraînerait un manque à gagner annuel de 50 milliards de dollars pour l'ensemble des pêcheries mondiales. Les insectes pollinisateurs rendent un service agricole estimé à 153 milliards d'euros par an, soit 9,5% de la valeur de la production agricole mondiale. Entre 30 et 172 milliards de dollars, tel est le montant des bénéfices annuels, en terme de qualité de vie, associés aux récifs coralliens. Bien que ne couvrant que 1,2% des surfaces marines, les barrières des coraux regroupent plus d'un quart des espèces marines. Enfin, la ville de New York (Etats-Unis) aurait économisé 6,5 milliards de dollars en rémunérant les agriculteurs pour que leur pratique soit compatible avec la protection du bassin versant de Catskill. Cette politique de subvention aurait coûté entre un milliard et un milliards et demi de dollars.
Cependant, le document long de 49 pages, n'est pas une suite d'évaluations économiques des services écosystémiques. Son but est surtout de présenter dix recommandations s'adressant aux organes intergouvernementaux et internationaux, aux gouvernements nationaux, aux autorités locales et régionales, aux entreprises, aux organisations de la société civile et à la communauté scientifique.
Tout d'abord, les chercheurs estiment que la publication et l'évaluation du rôle de la biodiversité et des services rendus par les écosystèmes dans l’activité économique et pour le bien-être humain sont essentielles à sa préservation. En effet, les chercheurs constatent que le fait que les services rendus par la nature soient "invisibles du point de vue économique a pour conséquence que le capital naturel est largement négligé, ce qui conduit à des décisions qui nuisent aux services écosystémiques et à la biodiversité."
Pécher par excès de prudence et de conservation
Afin d' "estimer l'inestimable", le rapport recommande de chiffrer la valeur des services écosystémiques rendus par la biodiversité pour que les décideurs politiques puissent inclure les bénéfices et coûts de conservation ou de restauration de la nature dans leurs choix. Cependant, le rapport reconnaît qu' "un complément d’informations est nécessaire quant à la question de savoir comment, dans quel contexte et dans quel but on peut utiliser un certain type de méthode d’évaluation."
Cependant, l'approche économique ne résout pas l'ensemble des problèmes posés, notamment parce qu'elle ne décrit pas le fonctionnement des écosystèmes. C'est par exemple le cas de la résilience des écosystèmes qui assure la pérennité de certains services rendus par les écosystèmes. Face à cette difficile évaluation, TEEB juge qu' "en cas d’incertitude, il vaut mieux, en règle générale, pécher par excès de prudence et de conservation."
Le choix du taux d'actualisation est un autre problème lié à l'approche économique. En effet, le taux d'actualisation est utilisé pour comparer des flux financiers se produisant à des dates différentes. Il permet ainsi de comparer les gains ou coûts immédiats d'une activité avec les pertes ou bénéfices futurs liés à cette même activité. Or, le choix d'un taux d'actualisation, en donnant un prix à des événements futurs, est "une affaire de choix éthique et reflète notre responsabilité envers les générations futures." Les chercheurs recommandent donc d'utiliser plusieurs taux d'actualisation "selon la nature du patrimoine évalué, la période dont il est question, le degré d’incertitude et l’étendue du projet ou de la politique évaluée."
La cinquième recommandation concerne les outils utilisés pour établir les comptes nationaux des Etats qui "ne sont pas en mesure de refléter les stocks de capital naturel ou les flux de services écosystémiques, ce qui contribue à l’invisibilité économique de la nature." Le TEEB juge donc que le système comptable des Etats "doit rapidement être mis à niveau" et "les gouvernements doivent également mettre au point un tableau de bord d’indicateurs pour surveiller les changements du capital physique, naturel, humain et social de manière continue." De même, il s'agit de développer des inventaires cohérents des stocks forestiers et des services écosystémiques.
Limiter les subventions néfastes pour la biodiversité
Par ailleurs les chercheurs constatent qu'il y a un lien entre la pauvreté et la dépendance aux écosystèmes. "Dans de nombreux pays, une part d’une grandeur disproportionnée du revenu des foyers pauvres dépend du capital naturel (agriculture, forêt, pêche)", indique le rapport. Il faut donc prendre en compte cette dépendance et cibler des politiques de développement qui ne menacent pas les services écosystémiques.
S'agissant des entreprises, le rapport préconise de mieux comptabiliser leurs impacts et leur dépendance par rapport à la biodiversité et aux services écosystémiques, qu’ils soient directs ou indirects, positifs ou négatifs. Il s'agit ici d'améliorer le reporting extra-financier et les politiques d’achat. Pour cela, "les rapports annuels et les comptes des entreprises et autres organisations doivent donner des informations sur toutes les externalités majeures, y compris les responsabilités environnementales et les changements sur le patrimoine naturel non inclus dans les comptes présents de l’entreprise."
Le rapport regrette que "dans la plupart des pays, ces signaux de marché ne tiennent pas compte de la pleine valeur des services rendus par les écosystèmes." Ainsi, certaines subventions, telles que celles en faveur des énergies fossiles ou certaines aides versées à l'agriculture et la pêche, peuvent être préjudiciables à la biodiversité. Les principes de "pollueur-payeur" et de "récupération intégrale des coûts" doivent donc devenir les lignes directrices des mécanismes d'incitation et des réformes fiscales.
Concernant, les aires protégées, le rapport juge que "les coûts engendrés par la mise en place et la gestion des zones protégées, y compris les coûts d’opportunité encourus par la renonciation à une activité économique, sont en général largement compensés par la valeur des services écosystémiques fournis par les zones en question." Cependant, si environ 12 % de la surface terrestre de la planète sont couverts par des zones protégées, les zones protégées marines restent relativement rares. Le rapport propose donc de développer des "systèmes de zones protégées nationales et régionales, qui soient exhaustifs, représentatifs, efficaces et gérés équitablement."
Enfin, la préservation et la restauration des écosystèmes est parfois une opération intéressante sur le plan économique. "L’entretien, la restauration ou l’amélioration de services écosystémiques comme les mangroves, les autres zones humides et les bassins versants forestiers soutiennent la comparaison avec les infrastructures d’origine humaine, telles que les usines de traitement d’eaux usées ou les digues", avance le rapport pour illustrer cet aspect. Il s'agit donc de considérer certaines politiques de préservation et de restauration de la biodiversité "comme une option d’investissement viable." C'est par exemple le cas avec le programme de réductions des émissions issues de la déforestation et de la dégradation forestière (REDD+) discuté dans le cadre des négociations climatiques.