
Ce rapport sera présenté ce mercredi après-midi au ministère en charge de l'écologie en présence des acteurs concernés (écologues, économistes, élus, représentants d'ONG ou d'entreprises...) et de Pavan Sukhdev, économiste indien, en charge d'un rapport pour la Commission européenne sur le prix de la biodiversité, attendu pour 2010.
Donner une valeur de la biodiversité
Comme le rapport Sukhdev, les travaux de Bernard Chevassus-au-Louis s'inscrivent directement dans la lignée du rapport de Nicholas Stern qui chiffrait le coût du changement climatique.
Il ne s'agit pas de créer un marché de la biodiversité, explique Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie, il s'agit de définir des valeurs de référence pour que, dans toutes les décisions publiques, soit désormais prise en compte la valeur économique de la biodiversité.
Dans toutes les décisions politiques… mais aussi judiciaires : l'importance de l'environnement dans la loi a été confirmée à deux reprises : lors du procès de l'Erika où, pour la première fois, une jurisprudence a reconnu les dommages strictement environnementaux, et lors du débat parlementaire sur la responsabilité environnementale en juin 2008 où cette question a été consacrée par la loi, note Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat en charge de la prospective et précédemment secrétaire d'Etat à l'écologie. Nous avons un problème en matière de biodiversité : ce sujet se situe beaucoup moins haut dans l'agenda que le changement climatique alors qu'il est en lien avec celui-ci et tout aussi important. J'ai acquis la conviction que deux clés sont nécessaires pour porter un sujet en haut de l'agenda : d'abord un consensus scientifique partagé est nécessaire, comme c'est le cas avec le GIEC pour le changement climatique. Ensuite, nous devons pouvoir évaluer les choses dans une monnaie commune, avec tout ce que cette approche peut avoir d'abusif.
L'idée est donc de donner un coût à la nature pour qu'enfin celle-ci soit prise en compte : la plupart de nos interlocuteurs considèrent que nous préservons la nature pour sa beauté. Or, nous devons raisonner en terme de capital naturel qui a autant si ce n'est plus de valeur que les autres capitaux, analyse Chantal Jouanno.
Il faut absolument sortir des situations dans lesquelles la nature ne vaut rien. On ne parviendra jamais à une évaluation précise, mais même si c'est de manière impartiale, les services de la nature doivent être valorisés, précise Nathalie Kosciusko-Morizet.
Comme aime à le répéter Pavan Sukhdev : ce qui est utile n'a pas toujours une grande valeur, comme l'eau par exemple, et ce qui a une grande valeur n'est pas toujours utile, comme les diamants…
Un travail de fourmi
Les écosystèmes sont très nombreux et les services rendus par ces écosystèmes sont encore plus nombreux. Nous sommes capables aujourd'hui de chiffrer ces services, mais cela suppose un vrai travail de fourmi. Nous sommes au début de la démarche, note Chantal Jouanno.
Le groupe de travail dirigé par Bernard Chevassus-au-Louis s'est penché sur les questions de méthode. L'idée était de définir les conditions d'élaboration de valeurs de référence pour les services écologiques rendus par la nature.
Mais les experts ont tout d'abord souhaité distinguer deux composantes : la biodiversité extraordinaire, qui n'a pas de prix selon eux, et la biodiversité ordinaire, qui n'a pas de valeur intrinsèque identifiée comme telle mais qui, par l'abondance et les multiples interactions entre ses entités, contribue à des degrés divers au fonctionnement des écosystèmes et à la production des services qu'y trouvent nos sociétés. Le groupe de travail a donc proposé d'évaluer cette biodiversité ordinaire à partir des services des écosystèmes dont profite la société.
Quatre principaux services ont été identifiés : les services d'auto-entretien, qui conditionnent le bon fonctionnement des écosystèmes (recyclage des nutriments, production primaire), les services d'approvisionnement, qui conduisent à des biens appropriables (aliments, matériaux et fibres, eau douce, bioénergies), les services de régulation, c'est-à-dire la capacité à moduler dans un sens favorable à l'homme des phénomènes comme le climat, l'occurrence et l'ampleur des maladies ou différents aspects du cycle de l'eau (crues, étiages, qualité physico-chimique) et enfin, des services culturels, à savoir l'utilisation des écosystèmes à des fins récréatives, esthétiques et spirituelles.
Quelques valeurs de référence ont été proposées par le groupe de travail. Par exemple, la valeur à accorder aux écosystèmes forestiers métropolitains a été évaluée à 970 euros par hectare et par an (soit environ 35.000 euros par hectare en valeur totale actualisée), avec une fourchette pouvant varier de 500 à 2.000 euros par hectare et par an selon, en particulier, la fréquentation récréative ou touristique et le mode de gestion de l'écosystème. Les services rendus par les abeilles ont été évalués à 2 milliards par an.
Le réseau France Nature Environnement, qui a participé aux travaux, salue la prudence du rapport qui souligne que l'approche économique doit s'articuler avec les approches éthique et sociologique de la nature : la révolution verte suppose que l'on donne au vivant, non pas un prix comme pour un baril de lessive, mais une valeur à la fois juridique, éthique et économique. Bien entendu, FNE restera vigilante sur les risques de dérive. L'obligation de compenser des atteintes à la biodiversité ne doit ainsi jamais virer au droit à détruire, déclare Arnaud Gossement, porte-parole de FNE dans un communiqué.
L'enjeu est que la valeur économique de la biodiversité soit intégrée dans les décisions publiques dès 2010, l'année où jamais de prendre des décisions pour stopper l'érosion de la biodiversité, souligne Chantal Jouanno. Plusieurs déclarations internationales ont en effet engagé les Etats à enrayer l'effondrement de la diversité biologique en 2010.