Le sommet climatique européen du 24 octobre s'est penché sur les dysfonctionnements du marché carbone. Le nombre de quotas, qui inondent actuellement le marché (132 millions en avril 2014, selon les chiffres de la CDC Climat), réduira progressivement de 1,74% par an jusqu'en 2020, puis de 2,2% à partir de 2021. La Commission a, en outre, proposé un mécanisme de réserve de stabilité permettant de mettre de côté les quotas en surnombre.
En France, la fiscalité écologique commence seulement à rattraper son retard. Le 21 octobre, l'Assemblée nationale a voté le projet de loi de finances en première lecture. La contribution climat énergie, introduite en 2014, y amorce une montée en puissance : la tonne de CO2 passe de 14,5€ en 2015 à 22€ en 2016. Les recettes augmentent en conséquence, de 2,5 en 2015 à 4 milliards en 2016. Ce nouveau prix du carbone reclasse la France à la hausse par rapport à ses partenaires européens. Pour Christian de Perthuis, professeur d'économie à Paris-Dauphine, "22€ la tonne en 2016, c'est une très bonne mesure. Peu de pays dépassent les 22€ , il n'y a guère que la Suède. Ce qui est important, c'est de l'introduire dans la fiscalité et d'avoir une montée en régime graduelle. J'espère que le mouvement se poursuivra au-delà de 2016. Partout dans le monde, on est très nettement en-dessous".
Un marché européen fragile
Le contexte européen de la fiscalité du carbone est marqué par une grande diversité des assiettes fiscales. La couverture géographique reste assez faible, et les signaux-prix très variés. Il n'y a pas un, mais des prix du carbone. Dès les années 1990, l'Union européenne avait vainement tenté d'introduire une taxe carbone unifiée pour ses pays-membres. Ce projet n'a pas abouti, mais a été relayé par le Protocole de Kyoto qui, à partir de 1997, tentait d'instaurer un marché et un prix global du carbone. Au sein des pays de l'annexe 1, ce marché s'est rapidement trouvé limité du fait du retrait des Etats-Unis et du Canada du dispositif de Kyoto. Crise de 2007 et sur-allocation de quotas ont fait chuter le prix de la tonne de CO2, qui émarge à 5€ la tonne sur le marché Spot (chiffre de mai 2014).
Christian de Perthuis en est convaincu : "A la COP 21, il faudra réparer le système européen de marché d'émissions (ETS). Ce qui compte, c'est ce que font les Européens. Ce qui ne va pas, c'est le marché du CO2. Le système fonctionne mal, l'ETS ne démontre pas son succès. En Europe, la crise est un des facteurs de l'affaiblissement de ce marché, mais la cause principale de l'échec de l'ETS est politique : il n'y a pas d'engagement politique fort en faveur du marché carbone européen. Or, ce qui fait le prix, c'est la rareté. Et la sur-allocation des quotas a compromis le mécanisme".
Alors que les Etats-Unis et son marché du soufre avaient inspiré le principal mécanisme du Protocole de Kyoto, c'est à l'Union européenne qu'il est revenu de le mettre en œuvre, avec son système de marché d'émissions, entré en vigueur en 2003. Couvrant les 28, plus la Norvège, le Liechtenstein et l'Islande, il doit accomplir un objectif de réduction de 43% des émissions de CO2 d'ici à 2030 par rapport à 2005, désormais élargies au protoxyde d'azote et perfluorocarbures des principales industries polluantes européennes.
En termes de prix, ce marché a connu trois phases principales, expose l'économiste Raphaël Trotignon : la première, euphorique, a vu osciller le prix de la tonne de 16 à 30€ entre 2005 et 2008 ; puis la crise économique a précipité une seconde phase, qui a vu chuter ce prix jusqu'à 10€ avant d'esquisser une remontée ; enfin, depuis 2011, le prix du CO2 s'est encore dégradé : remonté à 20€ en 2011, il est descendu à 5€ en 2014. En bref, la tonne de CO2 européen est passée de 30 à 5€ entre 2005 et 2014. "Avec le temps, le signal prix du CO2 européen a perdu de sa crédibilité alors que le marché carbone était innovant. Quant aux taxes carbone, elles couvrent des zones géographiques limitées, et leurs taux ne sont pas harmonisés".
Le contexte sino-américain
Aux Etats-Unis, le projet Acesa proposé par les députés Henri A.Waxman et Edward J. Markey a échoué au Sénat en 2010. Cette loi ambitieuse devait s'appliquer graduellement à un champ étendu de gaz à effet de serre et devait couvrir 85% des émissions étasuniennes, avec l'objectif de les réduire de 83% d'ici à 2050 par rapport à leur niveau de 2005, avec des paliers de -17% en 2020, -42% en 2030.
Au final, c'est au niveau des Etats que de telles politiques s'expérimentent, faute d'un cadre fédéral. Ainsi, neuf Etats du Nord-Est des Etats-Unis se sont rassemblés pour former un marché multirégional du CO2, le RGGI. De leur coté, la Californie et le Québec engagent un marché d'enchères réciproques depuis 2014. "Si l'absence de réglementation fédérale est compensée au niveau de quelques Etats, on constate que les prix du carbone sont loin d'être harmonisés, ils sont deux fois plus élevés en Californie que dans le RGGI", estime Simon Quenin, doctorant à la Chaire économie du climat de Paris-Dauphine. A l'échelle fédérale, l'EPA (Agence fédérale de protection de l'environnement) a l'autorité de réguler les émissions de carbone et peut, depuis le 26 juin 2013, fixer des lignes directrices aux centrales thermiques existantes, qui devront avoir réduit leurs émissions de 30% d'ici à 2030 par rapport à 2005.
Avec l'appui de l'Union européenne, la Chine expérimente des marchés carbone dans sept provinces en vue d'instaurer un marché national, couvrant les industries lourdes et la production électrique. "Mais il n'y a pas d'approche systématique. Le succès de ces projets pilotes dépend de l'engagement des autorités locales, selon leur perception du risque climatique", estime la doctorante Wen Wang. Le prix de la tonne oscille entre 5 et 10 dollars.
Instaurer un système international de bonus-malus à l'occasion de la COP 21
Reste que les expériences européennes, nord-américaines et chinoises de marchés carbone ne sont pas coordonnées et ne couvrent que 7% des émissions mondiales. Dans une présentation conjointe, les économistes Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet proposent de transformer ces trois pilotes en un marché carbone transcontinental afin d'enrayer le risque de fragmentation dans le monde post-Kyoto. Il s'agirait de constituer ce marché en unifiant les marchés carbone actuels (principalement nord-américains, européens et chinois) et à venir (Brésil, Chili, Turquie, Ontario...), à partir de la reconnaissance mutuelle des quotas alloués, l'harmonisation des règles de mesures et de vérification dites "MRV" (Measuring, Reporting and Verification), et les systèmes de sanction. Le défi politique serait de trouver un accord fixant le plafond des quotas. Quant au taux de la taxe, il dépendra du consentement à payer des donneurs. L'avantage d'un tel marché transcontinental serait de procurer des fonds aux gouvernements, sur la base d'un système d'enchères bien conçu. Il s'agirait aussi de trouver une forme de gouvernance appropriée : "Une des grandes leçons de l'ETS, c'est que si on ne se dote pas d'une gouvernance forte et innovante, on ne sait pas gérer", analyse M. de Perthuis.
D'où la nécessité de revoir entièrement le système et de mettre à jour un nouveau mécanisme à l'occasion de la COP 21 : une taxe carbone internationale, qui démarrerait à un taux bas (1 à 2 $ la tonne) et aurait vocation à augmenter progressivement à partir de 2020 à 7-9 $ la tonne, ce qui permettrait de récolter les 100 milliards annuels destinés au Fonds Vert pour le climat. Seraient assujettis à cette taxe tous les pays (y compris les émergents) dont les émissions per capita dépasseraient la moyenne mondiale. Les destinataires du bonus recevraient des fonds à condition qu'ils acceptent de se soumettre au système de MRV. Le calcul des transferts (bonus) se ferait sur la base de la différence entre les émissions per capita et la moyenne mondiale. Ce qui placerait l'Inde, le Bangladesh et le Pakistan parmi les trois premiers récipiendaires.
Il résulterait de ce bonus-malus un système redistributif. L'Union européenne, par exemple, où chaque habitant émet neuf tonnes de CO2 équivalent, verserait un malus de 10,3 milliards de dollars, la Chine (sur la base de 7,9 tonnes de CO2 équivalent par habitant en 2011) verserait 15,7 milliards de dollars, les Etats-Unis (avec 21 tonnes de CO2 équivalent par habitant en 2011) 34,3 milliards de dollars. Inversement, l'Inde serait récipiendaire d'un bonus de 38,9 milliards de dollars, le Bangladesh de 6,2 milliards de dollars. Couplé avec un marché carbone transcontinental, ce système aurait une vocation redistributive dans le nouveau monde du post-Kyoto.