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Actu-Environnement

Engrais azotés : la redevance de la discorde

Le projet de loi climat prévoit une trajectoire de réduction des émissions liées aux engrais azotés mais diffère la création d'une redevance. Le sujet divise, y compris au sein de la majorité.

Agroécologie  |    |  L. Radisson

Une taxation des engrais azotés permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 2,1 millions de tonnes équivalent CO2 en 2030 par rapport à 2019, rappelle le Haut Conseil pour le climat dans son avis sur le projet de loi climat. Soit une des mesures les plus structurantes de ce texte actuellement en discussion à l'Assemblée nationale.

Le Gouvernement reste toutefois extrêmement prudent sur cette question et toutes celles qui touchent à l'agriculture en général. Il souhaite inscrire dans la loi le principe d'une trajectoire de réduction des émissions liées à l'utilisation des engrais azotés et n'envisage l'instauration d'une redevance que dans un deuxième temps, si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Certains députés, y compris de la majorité, souhaitent aller beaucoup plus vite.

« Ne pas punir les agriculteurs »

Le projet de loi renvoie à un décret le soin de définir une trajectoire annuelle de réduction des émissions de protoxyde d'azote (N2O) et d'ammoniac (NH3) du secteur agricole. Cette trajectoire doit permettre d'atteindre les objectifs que la France s'est fixée en la matière : réduction de 15 % des émissions de protoxydes d'azote en 2030 par rapport à 2015, et de 13 % des émissions d'ammoniac en 2030 par rapport à 2005. La mise en place d'une redevance sur les engrais azotés minéraux n'est « envisagée » que si les objectifs annuels ne sont pas atteints pendant deux années consécutives et que l'Union européenne n'a pas adopté un dispositif équivalent. « L'utilisation du terme "envisager" vide l'article de toute portée normative », déplorait déjà Manon Castagné des Amis de la Terre avant l'examen du texte en commission à l'Assemblée nationale.

Et cet examen, qui s'est achevé le 18 mars, n'a pas permis de renforcer le projet de loi. « Je ne souhaite pas que nous mettions en place immédiatement une redevance : cela reviendrait à punir d'emblée les agriculteurs. Je crois dans leur capacité à changer leurs pratiques », a expliqué la rapporteure LReM Célia de Lavergne. Une position « totalement » partagée par le ministre de l'Agriculture. « Si l'on imposait une taxation dès maintenant, on pourrait même observer l'effet inverse de celui qui est visé. C'est la raison pour laquelle il vaut mieux accompagner les agriculteurs », a expliqué Julien Denormandie.

Trois amendements ont finalement été adoptés en commission. Le premier, déposé par la rapporteure, prévoit la remise d'un rapport par le Gouvernement afin de suivre la trajectoire de réduction. « Ce point a le mérite d'empêcher d'enterrer le débat sur les engrais chimiques après l'adoption de la loi », admet le Réseau Action Climat (RAC), mais les associations environnementales restent très critiques sur l'ambition climatique des dispositions adoptées.

Concernant la redevance elle-même, un deuxième amendement de la députée LReM prévoit que le rapport attendu du Gouvernement sur la faisabilité de ce nouveau prélèvement étudie l'opportunité de taux différenciés tenant compte de l'émissivité en ammoniac des différents types d'engrais. « C'est un cadeau aux lobbys car la France fabrique des engrais peu émetteurs en ammoniac », pointe Manon Castagné, qui relève par ailleurs que l'ammoniac n'est pas un gaz à effet de serre. Les membres de la commission spéciale ont également adopté un amendement du député LReM Jean-Luc Fugit qui prévoit d'affecter les recettes de l'éventuelle redevance à l'accompagnement des agriculteurs dans la transition écologique.

« Bombe climatique »

Ces dispositions se révèlent très insuffisantes au regard des avis rendus par plusieurs instances, qu'il s'agisse du Haut Conseil pour le climat mais aussi du Conseil national de la Transition écologique (CNTE) ou du Conseil économique social et environnementale (Cese). « Les engrais azotés de synthèse sont une bombe climatique : avec l'élevage, ils représentent 43 % des gaz à effet de serre de l'agriculture en émettant du protoxyde d'azote, un gaz 300 fois plus puissant que le CO2. Il faut ajouter à cela l'utilisation d'énergie fossiles au stade de la fabrication : il faut l'équivalent en gaz d'1 kg de pétrole pour produire 1 kg d'azote », pointe Manon Castagné des Amis de la Terre.

Outre leurs effets sur le climat, les engrais azotés ont des impacts en matière de pollution et de risques. Ainsi, la députée Mathilde Panot a dénoncé en commission les conséquences d'une utilisation massive de solutions azotées : recours accru aux pesticides, pollution de la ressource en eau par les nitrates, pollution de l'air. « Ses conséquences sur le plan sanitaire sont tout aussi désastreuses, a ajouté la députée France insoumise  : suspicions de cancers – en particulier de la thyroïde – et malformations congénitales. Enfin, [elle]provoque des accidents mortels : chacun se souvient de l'explosion d'AZF et de celle qui s'est produite l'été dernier dans le port de Beyrouth ».

« Écologie punitive et asphyxiante »

Les organisations agricoles, de leur côté, ne voient pas les choses de la même façon. La FNSEA et les Jeunes agriculteurs disent s'opposer à la création « d'une redevance azote punitive et injuste ». « Peut-on vraiment parler de "sur-fertilisation" des cultures quand on sait que les livraisons en azote ont diminué de 20 % depuis 1990 alors que les rendements en céréales ont augmenté de 30 % dans le même temps ? », interrogent les organisations agricoles. Autres arguments mis en avant par ces deux syndicats : le risque de renforcer les distorsions de concurrence et l'insuffisance du gisement de matières fertilisantes organiques. L'accueil n'est pas meilleur du côté de la Coordination rurale qui invite à une vision « politique incitative, créatrice de dynamiques vertueuses et responsables appuyées sur la science », plutôt qu'une « écologie punitive et asphyxiante ».

Ces arguments sont souvent partagés par Les Républicains, mais aussi par une partie de la majorité qui se révèle très divisée sur la question. Ainsi, le député Jean-Baptiste Moreau, agriculteur et porte-parole de La République en marche, ne veut pas entendre parler de redevance et propose (1) de supprimer les dispositions qui y ont trait dans le projet de loi. « Au-delà de la dynamique déjà enclenchée dans le secteur agricole, il ne semble pas envisageable d'imposer une nouvelle redevance à nos agriculteurs, qui plus est, dont le champ d'application serait purement franco-français », expose le député.

Au contraire, sa collègue Sandrine Le Feur, également agricultrice, a déposé un amendement (2) qui étend à compter du 1er janvier 2022 la redevance pour pollution diffuse à l'utilisation d'engrais azotés en retenant un taux de 27 centimes par kilogramme. Le même taux que celui proposé par un amendement (3) des députés non-incrits Matthieu Orphelin et Delphine Batho qui préconisent aussi de créer cette redevance sans attendre. L'instauration de ce prélèvement dégagerait 618 millions d'euros, qui pourraient être redistribués aux agriculteurs « pour les aider à réintégrer de l'azote organique dans leurs cultures », expliquent Les Amis de la Terre.

1. Télécharger l'amendement de Jean-Baptiste Moreau
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-37299-amdt-moreau.pdf
2. Télécharger l'amendement de Sandrine Le Feur
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-37299-amdt-le-feur.pdf
3. Télécharger l'amendement des députés Matthieu Orphelin et Delphine Batho
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-37299-amdt-orphelin.pdf

Réactions1 réaction à cet article

Le conservatisme de certains, tant au niveau des politiques que des syndicats agricoles, est consternant et, si l'on en juge par les risques d'explosion et pour la santé des populations encourus, criminel.

Pégase | 09 avril 2021 à 09h38 Signaler un contenu inapproprié

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