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Référé-liberté et environnement : la nouvelle jurisprudence du Conseil d'État déjà mise en œuvre

La décision du Conseil d'État de faire du droit de vivre dans un environnement équilibré une liberté fondamentale, qui peut être invoquée devant le juge du référé-liberté, inspire les justiciables. Illustration à travers deux exemples.

Gouvernance  |    |  L. Radisson
Référé-liberté et environnement : la nouvelle jurisprudence du Conseil d'État déjà mise en œuvre

La jurisprudence est encore toute fraîche. Par une décision rendue le 20 septembre dernier, le Conseil d'État a reconnu le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé comme une liberté fondamentale. Il s'agit là de la trente-neuvième liberté fondamentale reconnue par la Haute Juridiction administrative. Liberté dont la possible violation peut désormais être invoquée devant le juge du référé-liberté.

« Tout personne qui estime que l'administration – collectivités territoriales, services de l'État, établissements publics – porte une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale peut saisir le juge des référés, explique le Conseil d'État dans un décryptage de sa décision. Depuis la création de cette procédure d'urgence il y a vingt-deux ans, le juge des référés peut ordonner à l'administration de prendre toute mesure pour faire cesser une telle atteinte, en quelques heures (C. just. ad, art. L. 521-2). Pour cela, le juge tient compte de l'urgence de la situation et de la possibilité d'ordonner des actions pouvant être immédiatement mises en œuvre. »

Cette ouverture de la procédure du référé-liberté au domaine de l'environnement n'a pas laissé de marbre les justiciables. Deux tribunaux administratifs viennent de rendre des décisions dans lesquelles les requérants se sont appuyés sur ce fondement en vue de faire cesser la destruction d'espèces protégées dans un cas, d'obtenir un droit à l'information sur la pollution des sols dans un autre.

Pas d'atteinte grave et manifestement illégale

Dans le premier cas, une association de protection du paysage a demandé au juge des référés de suspendre les effets d'un arrêté préfectoral accordant une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées dans le cadre d'un projet de parc photovoltaïque sur la commune de Cruis (Alpes-de-Haute-Provence). L'association estimait que cette installation portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré.

“ Le juge administratif, une fois de plus, recherche un équilibre entre des exigences, des objectifs qui peuvent, de prime abord, sembler difficilement conciliables ” Arnaud Gossement, avocat
Par une ordonnance (1) du 5 octobre, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille rappelle les conditions exigées par le Conseil d'État pour faire droit à la demande du requérant :

  • justifier qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à ce droit du fait de l'action ou de la carence de l'autorité publique, au regard de la situation personnelle de ce dernier, en particulier si ses conditions ou son cadre de vie sont « gravement et directement affectés », ou au regard des intérêts qu'il entend défendre ;
  • faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour le justiciable de bénéficier d'une mesure de sauvegarde dans le délai de quarante-huit heures prévu par la procédure ;
  • que la situation en litige permette de prendre « utilement et à très bref délai » les mesures de sauvegarde nécessaires ;
  • que le juge tienne compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

En l'espèce, « en se bornant à faire valoir une atteinte à la faune et à la flore protégées, l'association requérante n'établit pas l'atteinte grave et manifestement illégale au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », estime le juge, qui rejette par conséquent la requête de l'association. Il parvient à cette conclusion après avoir relevé plusieurs éléments : le projet a, outre la demande de dérogation Espèces protégées, fait l'objet d'un permis de construire et d'une autorisation de défrichement devenus définitifs ; les impacts résiduels du projet ont été analysés comme faibles sur les habitats et les espèces ; l'autorisation de dérogation s'accompagne de mesures de réduction d'impact, de compensation et de suivi des populations des espèces concernées.

« Celles et ceux qui ont pensé que le Conseil d'État, aux termes d'une décision "historique" avait ouvert en grand la porte du référé-liberté seront sans doute déçus. Ceux qui craignaient que cette procédure ne soit détournée de son sens premier pour devenir un outil supplémentaire d'affaiblissement des projets de production d'énergie renouvelable seront peut être rassurés. En réalité, le juge administratif, une fois de plus, recherche un équilibre entre des exigences, des objectifs qui peuvent, de prime abord, sembler difficilement conciliables », conclut l'avocat Arnaud Gossement dans une analyse de la décision du tribunal marseillais. « Bref, dans nombre de cas, un référé suspension ou un référé expertise ou mesures sera parfois à préférer, opérationnellement », conclut, de son côté, son confrère Éric Landot.

Droit d'information sur les risques découlant d'une pollution

Dans une deuxième affaire, une association de riverains a saisi le juge du référé-liberté en se fondant également sur l'article L. 521-2 du Code de l'environnement en vue de bénéficier d'un droit à l'information sur la pollution des sols autour de l'ancien site industriel de Metaleurop de Noyelles-Godault (Pas-de-Calais). Elle a fait valoir que le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé avait pour corollaire le droit à l'information environnementale.

Le juge des référés du tribunal administratif de Lille, comme son homologue marseillais, a rappelé, à travers une ordonnance (2) du 14 octobre 2022, les conditions posées par la jurisprudence du Conseil d'État. Il rejette, du fait du défaut d'urgence, la requête de l'association qui lui réclamait d'ordonner des mesures de dépistage du saturnisme, d'information des habitants et d'investigation des sols. « Au demeurant, ces mesures sollicitées, eu égard à leur objet, ne sont pas au nombre des mesures d'urgence que la situation permet de prendre utilement pour remédier à l'atteinte alléguée au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », estime le juge.

En revanche, celui-ci affirme que « les mesures prises ou à prendre dans le cadre de la protection de la population contre les risques que l'environnement peut faire courir à la santé sont relatives au droit de vivre dans un environnement respectueux de la santé ». Au nombre de ces mesures, ajoute-t-il, « peuvent figurer celles consistant à informer la population contre de tels risques de façon à ce qu'ils soient évités ».

Avec cette décision, « le juge des référés du tribunal administratif de Lille règle la question de savoir si le droit de la population d'être informée sur les risques sanitaires découlant d'une pollution des sols est consubstantiel du droit de vivre dans un environnement sain », se félicite David Deharbe, avocat de l'association requérante.

1. Télécharger l'ordonnance du TA de Marseille
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-40496-TA-marseille-ordonnance-05-10-22.pdf
2. Télécharger l'ordonnance du TA de Lille
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-40496-TA-lille-ordonnance-14-10-22.pdf

Réactions1 réaction à cet article

Il est en effet sain pour le bon fonctionnement de la justice et l'acceptation de celle-ci par le citoyen et le justiciable que les outils de son application soient bien employés.
On connaît trop bien nombre d'associations de défense des paysages, qui n'ont de défense des paysages que ceux qui bordent les propriétés de notables locaux aisés (anciens sous-préfets, notaires, avocats, personnalités politiques, etc.) et pronucléaires, qui tentent par tous moyens de stopper le développement des énergies renouvelables. Le Conseil d'Etat fait œuvre utile en leur renvoyant un signal clair.

Pégase | 21 octobre 2022 à 09h01 Signaler un contenu inapproprié

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