Gel, grêle, canicule… Si du fait de leur métier les agriculteurs intègrent les aléas climatiques dans leur quotidien, leur accroissement résultant du réchauffement planétaire soulève la question de l'indemnisation. Selon une étude de France Assureurs, publiée fin 2021, le coût des sinistres liés à des événements naturels pourrait ainsi atteindre 143 milliards d'euros entre 2020 et 2050, soit une augmentation de 93 %. « Cette étude porte sur les biens meubles et les immeubles, concernant l'agriculture ; pour les biens vivants comme les plantes, l'estimation est plus délicate à réaliser, mais nous savons que cela va se dégrader », précise une source du secteur de l'assurance.
En réponse à cet enjeu croissant, la réforme du système d'assurance agricole, en préparation depuis plusieurs années, a profité de la dynamique du Varenne agricole de l'eau pour se structurer. L'ancien dispositif était considéré comme dépassé et à bout de souffle par l'ensemble des acteurs. « Les deux régimes, assurance MRC [multirisques climatiques] et calamités agricoles, ne sont pas conçus pour accompagner les mutations de l'agriculture française face au changement climatique, détaillait ainsi l'étude d'impact de la loi. L'absence de réforme expose la France à un risque de dégradation de sa souveraineté alimentaire en ne garantissant pas la résilience de l'agriculture face à des chocs qu'elle ne doit pas affronter seule. »
Un déclenchement de la solidarité nationale selon les cultures
« Cette réforme tombe à point nommé par rapport aux sinistres que nous avons pu avoir : gel, sécheresse, excès d'eau, canicule », indique Joël Limousin, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), chargé de la gestion des risques climatiques et sanitaires. Pour le syndicat, plusieurs avancées ont été apportées. Tout d'abord, un soutien de l'État pour les événements les plus violents, mais différencié selon les cultures.
« Par exemple, pour les grandes cultures et la viticulture, il a été estimé que l'assurance pouvait prendre en charge de 20 à 50 % de perte et, au-delà, c'est l'État qui pourrait prendre le relais, illustre Joël Limousin. Pour les prairies et l'arboriculture, la partie à la charge de l'agriculteur pourrait se situer entre 20 et 30 % de perte – et cela reste à des coûts modiques en termes d'assurance. Au-delà, ce serait l'État. » Pour soutenir cette intervention nationale, chaque année, des fonds de l'État et de l'Europe seront mobilisés à hauteur de 600 millions d'euros. Un montant critiqué. « Cette année, l'État a mis un milliard sur le gel… Nous nous rendons bien compte que les 600 millions ne passeront que les années sans accident », regrette Denis Perreau, secrétaire national de la Confédération paysanne.
Un recours à l'assurance non obligatoire, mais incité
Si le recours à l'assurance multirisque climatique (MRC) n'est pas rendu obligatoire, il est toutefois fortement incité. Le gouvernement prévoit ainsi un relèvement du taux des subventions publiques à 70 % pour aider les agriculteurs à payer leur contrat d'assurance. Autre appel du pied : les non-assurés auront droit à une indemnisation nationale pour les aléas exceptionnels moins importante que ceux qui disposent d'une MRC. Le dispositif est également simplifié, avec un système de guichet unique pour l'ensemble. « L'indemnisation via un guichet unique devrait apporter la rapidité d'exécution et de traitement des dossiers, souligne Joël Limousin. Le gros avantage de l'assurance est sa rapidité pour l'indemnisation, à la différence du fond de calamités agricoles pour lequel il fallait la reconnaissance du département, le passage en commission nationale de gestion des risques, monter des dossiers pour chaque agriculteur… Les délais de neuf à douze mois après le sinistre n'étaient pas tenables en termes de trésorerie. »
La Confédération paysanne déplore, quant à elle, ce recours à un intermédiaire privé. « Avec cette réforme, nous avons confié les clefs du camion aux assurances privées, estime Denis Perreau. La Confédération paysanne avait porté l'idée de la création d'un fonds mutuel et solidaire qui prenne en compte les risques de tous les agriculteurs, même ceux sans offre assurantielle, même ceux qui n'ont pas les moyens de s'assurer. Notre proposition a été balayée d'un revers de la main. » Le syndicat redoute que les assureurs délaissent les territoires ou les productions considérés comme trop à risques. « Les petites fermes type maraîchage diversifié, apiculture, n'ont pas d'offre assurantielle, les assureurs se sont engagés à leur en proposer une, mais cela reste flou », estime Denis Perreau.
La constitution d'un groupement d'assureurs
Sur ce point, le gouvernement souhaite conditionner la proposition d'offres assurantielles – qui bénéficieront d'aides de l'État – à la création d'un groupement d'entreprises d'assurance. L'idée ? Contrebalancer la faible connaissance des risques de secteur, comme l'arboriculture, par un partage des données de sinistralité ainsi qu'une mutualisation du risque entre entreprises avec un panel de territoires et de filières plus ou moins exposés. Un cahier des charges devrait également être établi pour, notamment, encadrer les procédures d'évaluation et d'indemnisation des sinistres par les assureurs. « Il y aura une transparence sur l'offre, sur les modalités qui s'appliqueront, les critères de calcul de la perte, etc. », souligne Joël Limousin.
Sur ce sujet, le gouvernement veut désormais avancer vite. Des discussions sont en cours et une ordonnance doit venir préciser le dispositif d'ici six mois. La loi devrait, quant à elle, entrer en application dès le 1er janvier 2023 (ou le 1er août 2023, pour certaines dispositions). « L'idée est de créer une ceinture de sécurité pour les agriculteurs par rapport au changement climatique, avait indiqué lors d'un point presse le ministère de l'Agriculture. Un amortisseur donc, mais pas un outil pour aider au changement de cap.
Dans le cadre du Varenne agricole de l'eau, la refonte du système d'assurance avait pourtant été mise à l'agenda d'un groupe de travail, qui ambitionnait de « se doter d'outils d'anticipation et de protection de l'agriculture dans le cadre de la politique globale de gestion des aléas climatiques ». Concernant la prévention, la loi prévoit bien qu'un avantage pourrait être accordé aux agriculteurs les plus prévoyants. « Par exemple, si des agriculteurs installent des filets paragrêles, la prime pourra baisser de x % », indique une source du secteur de l'assurance. Mais la loi et ses déclinaisons ne devraient pas aller plus loin concernant l'aide à la transition des agriculteurs.
Une occasion manquée de financer la transition
Pourtant, les besoins sont importants. « Si nous voulons un paysage agricole en capacité de mieux retenir l'eau, nous devons recomplexifier ces paysages et rediversifier les types de produits qui y sont cultivés, avait ainsi expliqué Sébastien Treyer, directeur général de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), au début du Varenne agricole de l'eau à Actu-Environnement. Toutefois, nous ne pouvons pas demander aux agriculteurs de faire seuls cette rediversification : il faut construire, à l'échelle d'un territoire, d'une région ou d'un bassin de production, une filière qui permette à la fois la collecte, la transformation et la mise sur le marché avec de réels débouchés. »
Pour accompagner financièrement cette transition, Sébastien Treyer proposait plusieurs pistes (par exemple à travers les agences de l'eau, mais également les assureurs. « La question de la diversification de la production peut constituer une stratégie de réduction du risque, avait-il estimé. La manière dont les primes d'assurance pèsent sur telle ou telle filière, dont l'assureur évalue le risque et le niveau de la prime d'assurance, tout cela est lié au modèle agricole. Or, les grands espaces de monoculture sont très vulnérables aux aléas climatiques, alors que les paysages agricoles complexes, avec des haies et un ensemble de cultures, qui n'ont pas les mêmes moments de maturité, sont davantage résilients. »
Cette piste n'aura donc pas été retenue dans le cadre de la loi de refonte du système d'assurance agricole. « Cette prise de conscience, cette gestion des cultures est une gestion d'entreprise. Les assureurs ne peuvent pas tout faire ; notre métier, c'est le transfert du risque, c'est la prévention, estime une source proche du secteur de l'assurance. Le métier de l'agriculteur, c'est de gérer et de transformer ses cultures. C'est vraiment aux agriculteurs d'effectuer ce travail. »