Le prix des crédits carbone sur le système européen d'échange de quotas d'émission de CO2 (EU-ETS) n'en finit pas de s'écrouler. Le 28 janvier, Point Carbone indiquait que les quotas mis aux enchères sont partis au prix de 3,88 euros la tonne. Le 24 janvier, les cours avaient franchi à la baisse en séance le niveau des 3 euros avant de revenir à 4,44 euros la tonne de CO2.
Depuis le début de l'année le prix du CO2 a chuté d'environ 30% et depuis mi 2008, date du plus haut historique, il a été divisé par sept. Or, pour que le marché soit efficace, c'est-à-dire qu'il rende compétitives les technologies bas carbone par rapport aux technologies plus émettrices de gaz à effet de serre (GES), les experts jugent que le prix doit se maintenir au dessus de 20 à 30 euros par tonne.
"On est dans une situation extrêmement grave", a résumé la semaine dernière l'économiste et président du comité pour la fiscalité écologique, Christian de Pertuis, lors d'une audition devant la commission des Finances du Sénat.
Aujourd'hui c'est au tour des compagnies aériennes d'être critiquées pour avoir reporté sur leurs clients 1,3 milliard d'euros en 2012, selon une étude de Transport & Environnement. Embarrassé, la Commission a expliqué ne pas avoir compétence pour intervenir dans une pratique commerciale entre les compagnies et leurs clients, rapporte l'AFP.
Dans un registre similaire, certains groupes industriels ont accumulé des surplus de quotas du fait de leur allocation pour des sites mis à l'arrêt en cette période de crise. ArcelorMittal aurait ainsi accumulé un surplus de près de 125 millions de quotas selon l'ONG Sandbag.
Aujourd'hui, la plupart des analystes s'accordent sur le fait qu'il y a trop de permis d'émission de dioxyde de carbone sur le marché, compte tenu des émissions anticipées sur la période couvrant la phase III (2013-2020) de l'EU-ETS. Selon la Commission européenne, ce surplus frôle aujourd'hui le milliard de quotas et pourrait atteindre le double en 2020. Conscient du risque, l'exécutif européen a soumis en juillet une première proposition de court terme afin de rétablir la situation.
Elle propose de décaler la mise aux enchères de 900 millions de quotas sur la Phase III. "Un bricolage qui ne résout rien", estime Christian de Perthuis, ajoutant que "si vous retirez des quotas et vous les remettez sur les marché en 2017, 2018, vous ne changez rien à la condition d'équilibre du marché européen des quotas".
Dans une note d'analyse publiée début octobre, Emilie Alberola, chef du pôle marchés de la CDC Climat Recherche, partage ce jugement. "Ne nous y trompons pas", prévient-elle, "la hausse du prix attendu sera limitée et temporaire jusqu'à ce que de futures réformes confirment la nécessaire rareté de long terme". Néanmoins, l'économiste voit un avantage à cet ajustement qui devrait théoriquement faciliter sa mise en œuvre : certains producteurs d'électricité ainsi que les secteurs exposés aux fuites carbone ne sont pas directement impactés puisque leurs quotas sont alloués gratuitement. De plus, il s'agit de "la seule option (à l'exception de celle qui consiste à ne rien faire) à pouvoir entrer en vigueur dès 2013". Elle "permet surtout à la Commission européenne de gagner du temps pour entamer les réformes structurelles".
Connie Hedegaard, membre de la Commission européenne en charge de l'action pour le climat, a ainsi proposé quatre mois plus tard, en novembre, une deuxième réforme basée sur six mesures plus radicales. L'objectif est ici de modifier les règles du marché pour prévenir les allocations de quotas excédentaires.
Les principales propositions consistent par exemple à relever l'objectif européen de réduction des émissions de GES de 20 à 30% d'ici 2020 par rapport à 1990, à retirer définitivement un volume de quotas pour la période 2013-2020, à étendre le marché à d'autres secteurs, ou encore à limiter le recours aux crédits carbone du Mécanisme pour un développement propre (MDP).
Une adoption reportée sine die
Las, le premier accueil réservé à ces propositions a été particulièrement froid. Preuve du peu d'enthousiasme suscité par ces propositions, la Commission a dû renoncer à inscrire le vote sur la première mesure de court terme à l'agenda du Comité du changement climatique (CCC) qui a réuni mi-décembre représentants de l'exécutif européen et des Etats membres. Elle a indiqué préférer assurer un accord avec le Parlement européen et les Etats membres avant de soumettre au vote la mesure. Sans grande surprise, la chute du prix du CO2 s'est accélérée avec l'annonce de ce report, le marché constatant que les mesures proposées sont loin de faire l'unanimité.
Pressée de voir avancer le dossier, Connie Hedegaard a donc officiellement appelé les gouvernements et les parlementaires européens à "se réveiller" et à "agir de façon responsable", rappelant que sa proposition de court terme est "en accord avec la demande des Etats membres". Parmi les inquiétudes de la commissaire figure notamment le mutisme de l'Allemagne et de l'Angleterre, a expliqué à l'AFP son porte-parole Isaacs Valero.
Ce rappel à l'ordre s'achève sur un ton peu commun. S'adressant directement "à ceux qui dans le secteur de l'industrie demandent un EU-ETS fort et qui font du lobbying pour entraver les réformes en ce sens", elle leur demande "d'y réfléchir à deux fois". "L'alternative, menace-t-elle, est une renationalisation des politiques climatiques, c'est-à-dire un patchwork de 27 taxes ou systèmes différents au lieu d'un marché unique".
Un appel qui n'a pas été entendu par certains parlementaires européens : le 24 janvier, la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (Itre) a rendu un avis indicatif et a demandé par 42 votes pour et 18 contre à l'exécutif de revoir sa copie. Ce vote illustre d'autant plus les tensions au sein du Parlement que Francisco Sosa Wagner, rapporteur pour la commission Itre, a demandé à ce que son nom ne figure pas dans le rapport final…
Quant à la commission Environnement, qui est en charge du dossier, elle se prononcera le 19 février. Le vote en plénière est escompté en mars ou avril, permettant, si tout se passe bien et qu'un accord est trouvé avec les Etats membres, la mise en œuvre du report des enchères au second semestre 2013.
Reste à savoir si la volonté politique sera au rendez-vous pour mettre en œuvre ce report d'enchères qui ne constitue que le premier acte de la réforme. Connie Hedegaard s'est exprimé sans détour sur le second acte : "tout le monde sait que les discussions relatives aux réformes structurelles seront longues".