Philippe Martin, ministre de l'Ecologie annonce qu'il refuse d'accorder la mutation des sept permis de recherche (1) demandée par la société américaine Hess Oil. "Pour traiter ce dossier, j'ai choisi le travail, la transparence et la concertation. J'ai (…) croisé l'expertise technique de mes services à l'expertise citoyenne des collectifs anti-gaz et huiles de schiste qui ont été reçus à plusieurs reprises accompagnés des élus concernés par ces permis. Je prends mes décisions en connaissance de cause et je les assume", déclare-t-il dans un communiqué.
Suite à la vente de ces permis situés principalement en Seine-et-Marne, de la société Toreador à la société Hess Oil, cette dernière avait demandé il y a plusieurs mois une validation de ce changement de propriétaire conformément au code minier actuel. Après 15 mois de silence de l'administration, la demande avait été rejetée, le silence valant refus, sans être motivée par les services de l'Etat. Un manquement qu'Hess Oil a porté devant la justice (tribunal administratif de Cergy-Pontoise) qui s'est prononcée en sa faveur le 26 septembre dernier. En réponse, le ministère a réexaminé les demandes et confirme aujourd'hui le rejet initial cette fois-ci en le justifiant.
Des arguments administratifs et techniques
Pour justifier sa décision le ministre constate que la société requérante, filiale française d'Hess Oil, est "une coquille vide qui ne dispose pas des compétences techniques propres, qui sont requises par le droit minier" dans l'article L. 122-2. Ce dernier stipule que "nul ne peut obtenir un permis exclusif de recherche s'il ne possède les capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien les travaux de recherches (…)".
Il s'avère que, par ailleurs, le permis de Courtenay a expiré en octobre dernier et que cinq autres permis n'ont pas obtenu de renouvellement. Ils ne peuvent pas, de ce fait, être transférés à un nouveau titulaire.
Reste le permis de Château-Thierry. Celui-ci pose question sur le plan technique. Le ministre s'interroge sur la réelle finalité des recherches envisagées : "même si la société Hess Oil a déclaré, afin de se conformer [à la loi du 13 juillet 2011], qu'elle n'utiliserait pas [la fracturation hydraulique], les roches-mères visées par cette société dans ses demandes de mutation ne pourraient être explorées que par cette technique interdite sur le territoire national. Dans ces conditions, les permis concernés ne peuvent plus déboucher sur une exploration effective, notamment sur aucun forage pilote."
Ces arguments, l'Etat compte bien les faire valoir devant la justice afin de lever l'astreinte journalière de 14.000 euros qu'il doit verser depuis le 17 octobre. Le ministre précise qu'il demandera, lors de l'audience prévue le 6 décembre prochain, une remise de ces indemnités. "Dans tous les cas, ce n'est rien à côté du coût environnemental et sociétal qu'aurait impliqué cette exploration de notre sous-sol", explique-t-il dans une interview accordée au Parisien (2) et publiée le 27 novembre.
"Une guérilla judicaire"
L'Ufip indignée
Suite à la décision du ministre, l'Union française des industries pétrolières a fait pas de son "étonnement" et de son "indignation" et évoque un "procès d'intention". Elle considère comme "inacceptable le soupçon dont l'industrie pétrolière fait l'objet lorsqu'on lui prête l'intention de recourir à une technique interdite par la loi."
Arnaud Gossement, avocat reçu par le ministre aux côtés des collectifs anti-gaz de schiste, s'est également félicité de cette décision qu'il qualifie de "courageuse et cruciale" : "Philippe Martin vient de porter un coup terrible à une sinistre spéculation financière contre l'environnement. Le rejet des demandes de mutation de permis hydrocarbures de schiste est une étape fondamentale de la guerre contre l'extraction des gaz et huiles de schiste. Cette décision démolit la stratégie d'intoxication jusqu'ici menée par les partisans de la fracturation hydraulique", estime-t-il. Selon l'avocat, une "véritable guérilla judiciaire" est en cours devant les tribunaux administratifs. Le conseil d'Etat doit d'ailleurs se prononcer vendredi 29 novembre sur la mutation du permis de Champrose (Seine-et-Marne) au profit d'Hess Oil. Mutation refusée par l'Etat mais contestée devant les tribunaux par la société.
Reste à lever le doute sur l'avenir du permis de Château-Thierry. Si pour six permis le refus de mutation équivaut à fermer définitivement la porte, le dernier est encore officiellement valide et reste dans les mains du propriétaire initial : Toréador ? Pas si simple. Il semblerait qu'entre temps le permis soit passé dans d'autres mains : Zaza Energy puis plus récemment Vermilion. Le ministère ira-t-il jusqu'à l'abroger pour mettre fin à l'incertitude ? D'autant plus qu'au regard de sa finalité (exploitation de pétrole de schiste) il aurait du faire parti des permis abrogés suite à la loi interdisant la fracturation hydraulique. On peut alors s'interroger sur les défaillances qui ont conduit à ce qu'il passe à travers les mailles du filet.