
Quel sera donc le sort de la Contribution climat énergie ? Difficile de placer le curseur de la taxe selon un juste milieu, tant celle-ci est écartelée entre l'impératif de son acceptabilité sociale, et la recherche de l'efficacité environnementale. Attentif aux critiques et en quête d'antidotes, Michel Rocard consacre les conclusions de son rapport aux clés de l'acceptabilité […] faute de quoi la France se déchirerait en conflits d'une rare intensité : La sévérité de l'opération ne trouve sa justification que dans la seule lutte contre les dangers du réchauffement climatique et en aucun cas dans le souci d'augmenter les ressources fiscales. Certains élus soucieux de la réduction des déficits publics le regrettent, comme le rapporteur UMP du budget à l'Assemblée Gilles Carrez, qui réclame que les futures recettes tombent dans le budget général. Mais, du Parti socialiste au Gouvernement, la plupart martèlent le nouvel évangile de la taxe : elle doit être réalisée à prélèvements constants et ne servir en aucun cas à alimenter les caisses de l'Etat. Dans une société individualiste et en crise, l'augmentation des prélèvements obligatoires est devenue un tabou, la fiscalité et l'impôt ne sont plus vécus comme des instruments redistributifs au service du maintien d'une certaine égalité devant le service public, mais comme une sanction punitive, un interdit sociétal, voire un vol. Ce n'est pas un impôt supplémentaire mais de l'argent qu'on va redistribuer, a souligné hier le ministre de l'écologie Jean-Louis Borloo. Payer un impôt pour le climat, au-delà de la dimension économique de ce dernier, c'est affirmer une qualité de citoyen du monde, rappelle cependant le rapport Rocard dans ses pages introductives.
Du coup, la Contribution climat énergie n'ose pas s'assumer comme un instrument voué en priorité à l'édification d'une économie verte. Où se situe le point d'équilibre entre l'efficacité écologique et l'acceptabilité sociale de cette taxe ? A cette question, on peinera à trouver une réponse univoque dans le rapport remis hier par Michel Rocard aux ministres concernés. Le renchérissement des énergies fossiles doit, comme l'avait déjà indiqué le Grenelle de l'Environnement, s'accompagner de politiques visant à développer l'offre d'alternatives à la consommation de ces énergies, rappelle le rapport. Mais il reste elliptique sur ce point. Des incitations à la transition énergétique, visant à permettre aux agents économiques concernés de s'affranchir de leurs consommations énergétiques sont évoquées comme la dernière roue de la charette, après les deux premiers dividendes : la baisse des impôts permise par le redéploiement de la taxe carbone en compensation, par exemple, d'une partie des cotisations sociales ou de la taxe professionnelle, et la hausse de croissance qui devrait mécaniquement s'en suivre, évaluée à 0,5% du PIB par la direction générale du Trésor et de la politique économique (DGTPE). En d'autres termes, le rapport des experts se concentre sur une évaluation des effets macroéconomiques de la taxe, sans que celle-ci soit envisagée comme un levier ciblé sur un dividende prioritairement écologique. On pourrait imaginer que le produit de la contribution énergie-climat soit affecté à trois objectifs complémentaires, selon des critères d'efficacité environnementale, économique et sociale : l'abondement d'un « Fonds de l'efficacité énergétique et du développement des énergies renouvelables », instrument majeur d'une politique de type « Facteur 4 », la compensation partielle de la baisse des recettes de l'État consécutive à la réduction attendue des consommations de produits énergétiques, et le financement de mesures de compensation pour les ménages modestes affectés par le renchérissement du coût de l'énergie.
Or, à ce stade les signaux sont confus. Pour être véritablement acceptable, la contribution climat-énergie devrait être à la fois juste socialement, cohérente et efficace écologiquement. Est-elle juste ? Le fait qu'elle pèse surtout sur les ménages et que les principaux pollueurs, les industriels, ne la paieront pas car ils sont, par ailleurs, soumis à des quotas européens... gratuits jusqu'en 2013 ne traduit-il pas une reculade face aux réactions des industries concernées, qui hurlent à la double peine ? Est-elle cohérente ? Le rapport Rocard ne dit pas clairement s'il faut taxer l'électricité produite par le nucléaire même si, à titre personnel, l'ancien premier ministre est partisan d'appliquer aussi la taxe carbone aux opérateurs électriques. Efficace ? Tout dépend de l'utilisation des recettes fiscales supplémentaires, estimées à 8 à 9 milliards d'euros par an au démarrage. S'il s'agit, par exemple, de compenser la baisse de la taxe professionnelle, l'efficacité écologique sera nulle. S'il s'agit de financer un Fonds vert pour la transition énergétique, l'efficacité et les renouvelables, le produit de la taxe gagnerait en visibilité écologique, donc en acceptabilité. Rendez-vous à l'automne pour le grand débat sur la fiscalité promis par le chef du gouvernement François Fillon.