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Actu-Environnement

“Les critères de la Commission européenne sur les perturbateurs endocriniens découlent d'une logique déroutante”

La Commission européenne n'avait aucune raison de repousser la publication de la définition des perturbateurs endocriniens selon sept chercheurs européens et américains. L'un d'eux Rémy Slama, directeur de recherche à l'Inserm, détaille leur analyse au regard de la définition proposée le 15 juin.

Interview  |  Risques  |    |  F. Roussel
Environnement & Technique N°360
Cet article a été publié dans Environnement & Technique N°360
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“Les critères de la Commission européenne sur les perturbateurs endocriniens découlent d'une logique déroutante”
Rémy Slama
Directeur de recherche à l'Inserm
   

Actu-environnement : La Commission européenne vient de proposer une définition des perturbateurs endocriniens. Pourquoi cette définition était-elle attendue ?

Rémy Slama : Depuis 2013, la Commission européenne est tenue légalement de fournir une définition des perturbateurs endocriniens, ou plus précisément, une définition des critères scientifiques permettant de les identifier. Cette définition est un élément demandé par les directives sur la régulation des biocides et des pesticides, remontant à 2012 et 2009. Elle est nécessaire à l'application de ces textes communautaires. 
Mais depuis trois ans, la Commission recule le calendrier. Elle a notamment avancé la nécessité d'une étude d'impact pour fournir cette définition. Cela n'était pas du tout justifié. Une étude d'impact permet d'évaluer l'impact sanitaire et économique d'une substance ou d'une nouvelle réglementation. Cette réglementation date de 2009, donc il aurait fallu faire l'étude d'impact il y a six ans, ou la faire après plusieurs années d'application effective de la règlementation, mais pas maintenant, et pas pour fournir des critères scientifiques définissant les perturbateurs endocriniens.

AE : Pour justifier ses délais de réflexion, la Commission avançait également que le consensus scientifique n'existe pas sur cette question. Est-ce vrai ?

RS : L'absence de consensus est un argument créé de toute pièce. Sur cette question de définition, il y a un consensus parmi tous les scientifiques indépendants, voire au-delà. Cela a été répété de nombreuses fois, la dernière fois dans le cadre d'une réunion organisée à Berlin les 11 et 12 avril derniers. Elle regroupait des spécialistes et des chercheurs, dont certains ayant des liens avec l'industrie. Ce groupe extrêmement large a reconnu que la définition de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui remonte à 2002, et qui est très proche de celle issue d'un workshop organisé par la Commission européenne dès 1996, est tout à fait acceptable. Ce sujet fait consensus. Si débat il y a, c'est sur les mécanismes d'action fins des perturbateurs endocriniens, ou sur la liste de substances susceptibles d'être des perturbateurs endocriniens – mais cette liste n'existe pas sans définition !

AE : Comment l'OMS définit-elle les perturbateurs endocriniens ?

RS : Selon l'OMS, un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange qui peut altérer le fonctionnement du système hormonal et par cela entraîner un effet néfaste sur la santé. De manière opérationnelle, il faut juste préciser que si cette perturbation survient à des doses extrêmement élevées, ou si elle s'inscrit dans une toxicité générale, il ne faut pas considérer la substance comme un perturbateur endocrinien. La définition des carcinogènes n'est pas plus compliquée : selon la loi européenne, un carcinogène n'est rien d'autre qu'une substance qui augmente le risque de survenue de cancers.

AE : Quelles étaient les autres options envisagées ?

RS : Une option considérée est d'avoir, comme pour les carcinogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), trois catégories de perturbateurs endocriniens : ceux qui sont avérés selon la définition de l'OMS, ceux qui sont suspectés et pour lesquels on a besoin de davantage de recherche, et les substances endocrinologiquement actives, qui désignent les substances interférant avec le système endocrinien, mais pour lesquelles on ne sait pas si elles entraînent un effet néfaste pour la santé. Cette catégorie regroupera les substances sur lesquelles on veut alerter les industriels et qui, à la suite de ces recherches supplémentaires, deviendront des perturbateurs endocriniens avérés ou seront sorties de la classification. Le dernier niveau serait les substances endocrinologiquement actives qui interagissent avec le système endocrinien mais pour lesquelles nous n'avons pas la preuve qu'elles ont un impact sur la santé. C'est la spécificité de cette définition : elle allie un mécanisme biologique (perturbation du système endocrinien) et un effet sanitaire. Les substances endocrinologiquement actives remplissent une seule de ces deux conditions.

AE : Les industriels demandaient à intégrer la notion de puissance à la définition. Qu'en pensez-vous ?

RS : Le terme de puissance est un concept scientifiquement flou. Il s'appuie sur une notion plus rigoureuse : la relation dose-réponse. Cette relation est un concept pertinent lorsque l'on fait de l'évaluation de risques. Elle n'est pas suffisante. Il faut la combiner avec des données sur la distribution de l'exposition dans la population. En connaissant le nombre de sujets exposés à chaque dose et l'effet sanitaire associé à chacune de ces doses, on estime le risque, c'est-à-dire le nombre de cas pathologiques attribuables à cette substance dans la population. La relation dose-réponse ne sert pas à identifier les dangers mais à faire de l'évaluation de risque.

Or, la directive de 2009 sur les pesticides dit clairement que, pour ces produits, la logique de gestion du risque n'est pas celle de l'évaluation du risque mais celle basée sur le danger. Les substances identifiées comme préoccupantes pour la santé humaine - les carcinogènes, les mutagènes, les reprotoxiques, et les perturbateurs endocriniens - doivent être gérées sur la base du danger pour les pesticides et les biocides. Autrement dit, à partir du moment où il est possible que la population y soit exposée, on interdit leur présence. Faire appel à la notion de puissance pour identifier les perturbateurs endocriniens nous ferait retourner à une logique d'évaluation du risque, alors que la loi sur les pesticides, je le rappelle, s'appuie sur la classe de danger des substances, sans nécessiter de calcul de risque. Cela détricote la directive et fait entrer par la porte de derrière cette notion d'évaluation du risque que le parlement européen a choisi d'exclure pour les dangers les plus préoccupants correspondant aux carcinogènes, mutagènes, reprotoxiques et perturbateurs endocriniens.

AE : Que pensez-vous de la proposition de la Commission présentée le 15 juin ?

RS : Les critères proposés le 15 juin par la Commission suivent la même finalité, sans s'appuyer sur la notion de puissance. Ils consistent à modifier le texte de la loi en remplaçant la clause autorisant les perturbateurs endocriniens pour lesquels l'exposition de la population serait négligeable en une clause d'exception autorisant les perturbateurs endocriniens pour lesquels le risque est négligeable. Le remplacement du mot "exposition" par celui de "risque" peut faire craindre qu'il va falloir faire toute une évaluation de risque avant de réglementer une substance sur la base du danger – ce qui serait une logique déroutante, et qui nous ramène à la logique d'évaluation de risque qui était exclue par la loi de 2009…

AE : Combien de substances seraient concernées ?

RS : Il existe des tests toxicologiques qui mettent en évidence des interactions avec le système hormonal chez certains organes cibles. Grâce à des tests in vitro, 500 à 1.000 substances ont déjà été identifiées comme étant endocrinologiquement actives. Mais ces tests sont loin de couvrir toutes les dimensions et toutes les fonctions possibles du système endocrinien. Par exemple, pour la fonction thyroïdienne, il y a encore très peu de tests efficaces. Il faudrait par la suite resserrer les données pour savoir parmi ces substances lesquelles ont un effet sur la santé ou les écosystèmes.

AE : La définition de ces perturbateurs endocriniens induira-t-elle la disparition de certaines substances ?

RS : Immédiatement non, il faudra d'abord examiner chaque pesticide et biocide pour savoir le ou lesquels peuvent être considérés comme des perturbateurs endocriniens. Mais il y a d'ores et déjà certains pesticides pour lesquels on suspecte qu'ils contiennent des perturbateurs endocriniens. A moyen terme, il est probable qu'il y ait quelques pesticides interdits.
 En parallèle, il va falloir améliorer les tests utilisés. Il y a un besoin de davantage de tests sensibles pour identifier les perturbateurs endocriniens.

Réactions1 réaction à cet article

Quelle est, SVP, la proportion de scientifiques indépendants face aux "scientifiques" dépendants qui ne sont peut-être donc plus des scientifiques, mais des larbins méprisables ?

Comment un concept peut-il être "scientifiquement flou" ?

Pauvres futures générations. Vive Monsanto et ses affidés.

Sagecol | 16 juin 2016 à 10h24 Signaler un contenu inapproprié

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