Ce jeudi 14 novembre, les ONG Réseau action climat (RAC), Oxfam et Secours catholique Caritas, ont lancé un calculateur permettant d'estimer les effets d'une taxe carbone en France avec une redistribution des recettes vers les ménages les plus vulnérables, pour que cette taxe soit « juste ». Ce calculateur (1) est accessible sur le site Internet du RAC. Il est proposé, un an après le début du mouvement des gilets jaunes, le 17 novembre 2018. La hausse de la taxe carbone, ou composante carbone des taxes sur les énergies fossiles, appliquée aux carburants, est justement à l'origine de leur colère. Sous la pression des manifestants, en décembre 2018, le Premier ministre Édouard Philippe avait annulé l'augmentation de la fiscalité carbone prévue pour 2019. Ce moratoire durera jusqu'en 2020. Le montant de la taxe carbone « est bloqué à 44,60 euros par tonne de CO2 depuis 2018 », rappellent les associations. Soit l'équivalent de 7,5 centimes d'euros par litre d'essence.
La taxe carbone actuelle est « injuste »
« La taxe carbone reste un outil important pour lutter contre le changement climatique, mais dans sa forme actuelle, elle est injuste, car elle pèse davantage sur les ménages modestes », a expliqué Meike Fink, responsable Transition climatique juste au RAC, hier devant la presse. En effet, les 10 % des ménages « les plus pauvres en France » paieraient, proportionnellement à leurs revenus, « 2,6 fois plus de taxe carbone que les 10 % les plus riches », a précisé Daphné Chamard-Teirlinck, chargée de projet Mobilité inclusive et durable au Secours catholique Caritas. Or ces derniers « polluent trois fois plus que les ménages les plus pauvres ».
Mme Chamard-Teirlinck ajoute que la taxe carbone ne couvre que 46 % de l'ensemble des émissions de la France « à cause de nombreuses exonérations et taux réduits applicables aux taxes sur l'énergie ». Ces niches fiscales représenteraient 14,2 milliards d'euros, selon l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), voire 17 milliards d'euros. Quatre niches sont peu ou pas taxées : l'exonération sur le kérosène des avions, les taux réduits pour les poids lourds, ceux pour le gazole non routier, et ceux pour le gazole routier par rapport à l'essence.
« Il n'y aura pas de taxe carbone juste tant qu'il y aura des niches fiscales néfastes pour le climat et qu'on ne mettra pas en place des mesures pour permettre aux plus modestes de (ne pas être soumis) à cette fiscalité punitive », a déclaré Daphné Chamard-Teirlinck. La taxe carbone concerne les ménages et les petites et moyennes entreprises (PME). Elle exclut les grandes entreprises et industriels qui sont déjà soumis au marché européen des quotas d'émission de carbone. Or le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen est aujourd'hui de 25 euros, soit près de deux fois moins que le prix de la taxe carbone française (44 euros par tonne de CO2), a aussi pointé Mme Chamard-Teirlinck.
La taxe carbone a « cristallisé les tensions, mais c'est finalement un dossier qui s'empilait à une question plus large de justice sociale et de revendications de justice fiscale » a souligné Quentin Parrinello, responsable plaidoyer Justice fiscale à Oxfam. La question du futur de cette taxe est avant tout « un choix politique pour qu'elle soit juste ».
Redistribuer les recettes de la taxe carbone en faveur des plus pauvres
Exemple de redistribution de la taxe carbone pour une famille modeste
À titre d'exemple : un couple avec deux enfants, avec des revenus annuels de l'ordre de 17 000 euros, supporterait aujourd'hui un coût de 201 euros de taxe carbone. Le calculateur prend en compte les paramètre suivants : la famille roule en voiture diesel, leur lieu de résidence est situé à Lyon, leur logement mesure 80 m2 de superficie et est chauffé au gaz. Après simulations, le montant qui serait redistribué à cette famille pourrait atteindre 410 euros. Il est possible de tester différents scénarios de redistribution.
Le calculateur, mis en ligne par les ONG, permet de tester, en fonction de sa situation personnelle (composition du foyer, revenu, taille du logement, type de chauffage, utilisation d'une ou plusieurs voitures), le montant que représente aujourd'hui la taxe carbone pour son foyer, et le montant que l'utilisateur pourrait recevoir si les revenus de la taxe carbone étaient redistribués. Le calculateur a été élaboré, en s'appuyant sur les travaux de scientifiques. « Cet outil est un premier pas et peut être amélioré », a indiqué Quentin Parrinello.
Les ONG proposent qu'une partie des recettes de la taxe carbone soit redistribuée via un crédit d'impôt, ou un chèque pour les ménages non imposables, sous la forme d'un « revenu climat ». Ce qui permettrait de « maintenir la fiscalité sur les carburants et le chauffage, sans mettre en difficulté les foyers qui n'ont pas les moyens immédiats de s'adapter ». Le montant de la redistribution serait alors revalorisé à chaque hausse de la fiscalité sur les pollutions. Les associations ont présenté un scénario type, où la moitié des recettes de la taxe carbone (4 milliards d'euros) serait redistribuée de façon progressive aux 50 % des citoyens les plus pauvres. Seuls les cinq premiers déciles de revenu des ménages (jusqu'à 19 000 euros nets de revenus annuels) seraient éligibles à ce dispositif de redistribution. Celui-ci « privilégie avant tout les deux premiers déciles, c'est-à-dire les ménages les plus vulnérables », a précisé Quentin Parrinello.
L'avenir de la taxe discuté à la Convention citoyenne pour le climat
La taxe carbone fait partie des sujets examinés par la Convention citoyenne pour le climat, créée par le Président pour répondre à la crise des gilets jaunes. Cent cinquante citoyens ont été tirés au sort pour définir, d'ici à début 2020, une série de mesures permettant d'atteindre, en France, une baisse d'au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990). Les prochaines réunions de la Convention citoyenne pour le climat se tiendront dès demain, du 15 au 17 novembre à Paris. Le 22 septembre dernier, sur Europe 1, Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État à la Transition écologique, avait expliqué qu'une nouvelle hausse de la taxe carbone ne pourrait pas se faire sans un débat citoyen.
Ce samedi, Priscillia Ludosky, figure des gilets jaunes, devrait notamment participer aux réunions de la Convention. Elle était présente à la conférence de presse des ONG et a salué la mise en place du calculateur qu'elle a testé. « La redistribution pour les plus modestes, c'est une bonne chose, cela permet d'accompagner les personnes et contribue à ajouter de la dimension sociale dans la taxe », a-t-elle estimé. La taxe, telle qu'elle est actuellement, « est punitive car elle sanctionne les personnes en province et dans les zones rurales, qui n'ont pas accès aux transports en commun. Sur les moyens de transports, il y a aussi beaucoup à faire », a-t-elle ajouté. Elle a aussi demandé que « tous les acteurs pollueurs soient taxés de la même manière ». Priscillia Ludosky a en outre appelé à « la transparence sur l'application des sanctions aux sociétés rejetant des émissions de CO2 à l'échelle européenne ».