D'ici 2030, de nombreuses centrales de production électrique pilotables vont être mises à l'arrêt en Europe. Plus de 110 GW de moyens de production seront retirés du réseau européen d'ici 2030-2035, selon le gestionnaire de réseau belge Elia : 23 GW de nucléaire (dont environ 13 GW en France et 10 GW en Allemagne), 70 GW de charbon/lignite (dont environ 40 GW en Allemagne) et 10 GW de gaz ou fioul.
En parallèle, les États membres européens affichent de fortes ambitions dans les énergies renouvelables, principalement dans le photovoltaïque et l'éolien : d'ici 2030, devraient être installés près de 200 GW en Allemagne, 75 GW en France, 20 GW en Belgique, 100 GW en Espagne, 70 GW en Italie…
En 2025, les capacités installées en énergies renouvelables intermittentes (ENRi) devraient atteindre 400 GW et dépasser les moyens de production conventionnels. « Mais 1 GW d'ENRi n'est pas de même nature que 1 GW de puissance pilotable et sa participation lors des situations de tension du système électrique n'est pas garantie car elle dépend de la météorologie (température, présence ou non de soleil et surtout de vent) », souligne France Stratégie. L'organisme de prospective de Matignon alertait déjà, pendant le premier confinement en avril dernier, sur le risque de déstabilisation du système électrique par les renouvelables. Dans une nouvelle note, publiée le 15 janvier, il alerte sur le risque de défaillance du système électrique européen et le manque d'anticipation politique pour mettre en place des marges de sécurité.
Un défi structurel d'ici 2030 ?
Le confinement et la crise sanitaire ont perturbé le calendrier de maintenance du parc nucléaire français, et entraîné une dégradation de sa disponibilité. Cet hiver, RTE s'est donc dit particulièrement vigilant aux périodes de grand froid et d'absence de vent, entraînant une hausse de la demande et une baisse de l'offre. Si cette situation est liée à un contexte exceptionnel, France Stratégie estime qu'il est urgent d'anticiper « un défi qui pourrait devenir structurel à la fin de cette décennie ».
Aujourd'hui, les principales tensions sur le système électrique ont lieu en France, lors des pointes de consommation hivernales, liées à la forte part de chauffage électrique, spécificité française. Or, avec un taux de pénétration croissant des énergies intermittentes, « la nature des risques évolue pour le système électrique : la probabilité qu'une défaillance se produise diminue, mais avec une profondeur (puissance, en GW) et une durée qui augmentent très significativement », indique France Stratégie. Les vagues de froid sans vent s'étalant sur plusieurs jours seront à risque, ou toutes les périodes de creux de production éolienne, quelles que soient la saison ou l'heure.
Des marges qui se réduisent peu à peu
Pour répondre à ces risques de défaillance, les gestionnaires de réseau s'appuient sur un arsenal de solutions : mobilisation de centrales de production supplémentaires (réserves), effacement de sites de consommation ou effacement diffus… Mais « dès 2030 et vraisemblablement à une date plus rapprochée, si les tendances actuelles se maintiennent, les seuls moyens pilotables ne seront pas en mesure de satisfaire toutes les demandes de pointe moyennes, prévient l'organisme. Cette nouvelle donne invite à considérer l'ensemble des solutions disponibles pour remédier à ce déficit (flexibilité et maîtrise de la demande, disponibilité de moyens de production non pilotables, etc.) ». Cette réflexion doit être menée à l'échelle européenne, étant donné que le système électrique européen est de plus en plus intégré et interconnecté, estime France Stratégie.
L'analyse de la situation de sept pays (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni, Suisse), montre que « si aucun moyen pilotable autre que ceux déjà prévus n'est ajouté au réseau pendant cette période et dans l'hypothèse où les objectifs de développement d'ENR sont respectés, les marges passent de +34 GW en 2020, à +16 GW en 2025 puis deviennent négatives à -7,5 GW en 2030 et -10 GW en 2035 ». En France, les marges devraient rester légèrement positives jusqu'en 2025 (+1,7 GW) et être en déficit en 2030 et 2035 (-5 GW et -9 GW).