L'audition "avenir de la filière nucléaire", organisée le 17 novembre 2011 à l'Assemblée nationale par l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a permis de présenter les enjeux des réacteurs nucléaires dits de "génération IV", c'est à dire les réacteurs à neutrons rapides, fonctionnant au plutonium et à l'uranium appauvri, régénérant leur combustible.
Une présentation réalisée en introduction de l'audition a soulevé d'emblée les questions liées au cycle du combustible nucléaire et en particulier le rôle du plutonium. Un sujet complexe qui a rejoint l'actualité politique la plus brûlante.
Présidée par Christian Bataille, député (PS) du Nord, l'audition s'inscrivait dans le cadre des travaux de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire qui travaille actuellement à la rédaction d'un rapport sur l'avenir de la filière nucléaire française.
Avec ce type de réaction le 239Pu produit donc de l'énergie (par fission) et transforme l'238U pour obtenir du 239Pu qui de nouveau permet d'alimenter la réaction, d'où le terme de régénération.
Dans sa présentation introductive, titrée "la problématique du déploiement des réacteurs de 4ème génération", Sylvain David, chargé de recherche à l'Institut de physique nucléaire d'Orsay (IPN), place la gestion du combustible au centre des enjeux.
Avec les réacteurs actuels fonctionnant à l'uranium enrichi à environ 4% d'isotope 235 (235U), il faut extraire quelque 200 tonnes d'uranium naturel par an pour chaque gigawatt (GW) de puissance installée. Une consommation qui pourrait être réduite à 130 tonnes en améliorant l'extraction de 235U, présent dans l'uranium naturel et le combustible irradié, et en introduisant du plutonium.
Avec les réacteurs à neutrons rapides, le plutonium disponible deviendrait constant grâce à la régénération. Ces réacteurs ne consommeraient qu'une tonne par an d'isotope 238 de l'uranium (238U) par GW de puissance installée. Or cet isotope, qui constitue l'uranium appauvri, ne manque pas : la France dispose d'environ 300.000 tonnes de ce résidu de l'enrichissement de l'uranium destiné à alimenter les 58 réacteurs français. La France disposerait de "5.000 ans de production d'électricité", estime Sylvain David.
Compte tenu des disponibilités en uranium, "le recours rapide à la génération IV s'impose dans les scénarios de développement rapide du nucléaire", synthétise le chercheur de l'IPN, précisant que par "rapide", il entend un scénario visant 2.500 GW de puissance nucléaire installée en 2040, soit une multiplication par plus de 8 du parc mondial actuel de 300 GW. "Ce n'est pas le cas aujourd'hui", concède néanmoins Sylvain David.
Un scénario incertain
Reste que pour développer une telle filière "il faut accumuler le plutonium" pour avoir suffisamment de combustible au départ du processus. Actuellement, le stock de plutonium français, hors plutonium militaire, est d'environ 300 tonnes, alors que 1.000 tonnes seraient nécessaires pour remplacer les réacteurs actuels par des réacteurs de quatrième génération.
Cela implique trois contraintes selon Sylvain David. Tout d'abord, si la transition à puissance constante est possible pour la France, elle ne l'est pas pour un Etat qui souhaiterait accroitre sa capacité nucléaire, comme la Chine ou l'Inde.
Ensuite, la vitesse de déploiement d'un parc de réacteurs à neutrons rapides est déterminée par la disponibilité du plutonium. Il s'agit donc de prévoir une période de transition, pendant laquelle des réacteurs "classiques" produiraient le plutonium nécessaire à alimenter les réacteurs à neutrons rapides au fur et à mesure de leur mise en marche.
Enfin, la troisième condition est qu'"un tel scénario, même s'il est incertain, interdit de considérer le plutonium comme un déchet". Cette condition pointe directement l'un des enjeux fondamentaux du passage à la quatrième génération, à savoir le retraitement des combustibles usés qui constitue l'unique source de plutonium.
C'est ce que fait l'usine de la Hague (Cotentin) qui sépare l'uranium résiduel, le plutonium et les actinides mineurs. Seuls les actinides mineurs sont vitrifiés et considérés comme des déchets. L'uranium résiduel et le plutonium deviennent des matières valorisables, soit pour produire du combustible Mox, soit dans le cadre de la génération IV.
La Hague et le Mox au cœur des enjeux
Alors que le Parti socialiste et Europe Ecologie Les Verts se querellaient au sujet de l'avenir de La Hague et du Mox, l'enjeu n'a pas échappé au sénateur (UMP) de la Haute-Marne, Bruno Sido. "Sans faire de politique politicienne", avance l'élu, "la meilleure façon d'empêcher de développer un processus, la quatrième génération en particulier, c'est de faire en sorte qu'il n'y ait plus de plutonium". Et Sylvain David d'expliquer que "si l'on envisage de passer à la quatrième génération il est évident qu'on ne peut pas se permettre de vitrifier le plutonium".
"C'est une matière très précieuse qu'il faut conserver", poursuit-il, précisant que "c'est ce qu'on fait puisqu'il [n'est pas] comptabilisé dans les déchets mais dans les matières valorisables". On comprend en creux qu'il est tout aussi indispenssable de conserver l'usine de La Hague, l'outil permettant de l'extraire.
Pour être complet le spécialiste explique que "la stratégie du Mox [développée par EDF en France] a tendance à accumuler moins vite le plutonium". Une stratégie qui semble contreproductive si l'on souhaite développer les réacteurs à neutrons rapides puisque dans "les scenarios de développement de la quatrième génération il faut arrêter l'usage du Mox 10 ou 15 ans avant".
Enfin, du plutonium militaire pourrait être utilisé, en particulier dans le contexte de démantèlement des armes atomiques. Un sujet sur lequel les spécialistes auditionnés par l'OPECST ne se sont pas prononcés au motif que les stocks de plutonium militaire sont inconnus et que la qualité du plutonium différerait. Ils ont néanmoins évoqué un accord signé en 2000 par les Etats-Unis et la Russie visant à utiliser les "excès" du plutonium militaire, par rapport aux besoins de l'armée, en les incorporant dans du Mox.