"Déchets de très faible activité : la doctrine doit-elle évoluer ?". C'est sous ce titre que l'Institut de radioprotection a publié le 17 février un document (1) synthétisant ses "réflexions (…) pour une gestion pérenne, équitable et responsable" des déchets radioactifs. Poser la question, c'est déjà y répondre… Pour l'IRSN, "la reconduction à l'identique des modes de gestion actuels n'est pas nécessairement la solution optimale".
Qu'envisage l'Institut ? Il propose une "diversification des solutions de gestion (…) dès lors qu'elle permet la minimisation et un partage équitable des risques et nuisances (…) et qu'elle favorise un usage de ressources mieux proportionnées au risque réel que présentent les déchets". Il suggère notamment de recycler certains déchets, d'en stocker dans des sites d'enfouissement conventionnels et de libérer certains anciens sites ou bâtiments nucléaires. "Les choix d'évolution de doctrine ne pourront toutefois être valablement arrêtés que si la société civile y est pleinement associée", précise l'Institut.
Saturation à court terme
Le problème commence à être connu, notamment depuis le démantèlement des installations nucléaires de recherche de Grenoble. Il n'y a qu'un exutoire pour les déchets de très faible activité (TFA) et il "sera saturé à court terme", compte tenu des "vastes programmes de démantèlement vont être élaborés et mis en œuvre dans les prochaines décennies". Selon l'inventaire national des déchets radioactifs de l'IRSN, le volume de déchets TFA pourrait atteindre 2.200.000 m3 à l'issue de l'exploitation et du démantèlement des installations nucléaires française existantes. Un calcul qui ne tient pas compte des sols pollués…
Problème : le Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (Cires) de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), situé à Morvilliers (Aube), est dimensionné pour stocker 650.000 m3 en 30 ans, soit un peu moins du tiers du volume attendu. En conséquence, il "sera saturé aux alentours de 2020-2025, c'est-à-dire à court terme". On pourrait prévoir un autre site, mais l'IRSN doute que cela permette d'assurer la pérennité de la gestion des déchets TFA.
Certes, la création d'un stockage dédié a permis la mise en œuvre rapide d'une solution opérationnelle et économique. "La méthodologie retenue est donc robuste du point de vue de la prévention du risque radiologique". Mais la doctrine française présente une "faiblesse" : "l'unicité et la rigidité de la démarche dans son application (…) conduit finalement à considérer que les déchets « potentiellement radioactifs » sont de facto « réputés radioactifs »", estime l'IRSN. En conséquence, "une quantité significative de déchets et matériaux qui ne présentent qu'un niveau de radioactivité nul ou extrêmement faible, généralement inférieurs aux seuils de libération européens, (…) relèvent réglementairement de la filière de gestion des déchets radioactifs", regrette l'Institut.
Globalement, le dispositif actuel "reste pertinent pour une part notable de ces déchets", mais des évolutions sont possibles, estime l'IRSN qui juge que "30% à 50% des déchets TFA qui sont ou seront produits" pourraient en sortir. Il est donc temps d'"examiner au fond la politique actuelle de gestion de ces déchets, afin de la consolider par des évolutions raisonnées visant à la rendre à la fois plus pérenne, équitable et responsable".
Seuils libératoires
La première piste envisagée est le recyclage des bétons (sous forme de graves) et des métaux. Les bétons pourraient être utilisés sur site pour les travaux de terrassement ou de comblement liés au démantèlement des installations. Quant aux métaux, il conviendrait de lancer des recherches sur les solutions de recyclage pour les "métaux très faiblement contaminés" dont la valeur ajoutée est significative. Cela permettrait d'"éviter (…) la récupération sans aucun contrôle de matériaux valorisables lors d'intrusions futures dans le centre de stockage, hypothèse probable après l'arrêt de sa surveillance". "L'IRSN conclut qu'"un assouplissement est nécessaire (et possible au regard des enjeux de protection radiologique) concernant les exigences de traçabilité des produits recyclés, et que des débouchés extérieurs au secteur nucléaire pour ces produits doivent être envisagés". Sur le plan de la radioprotection, il n'y a pas "d'obstacle technique rédhibitoire" à trouver des débouchés pour ces déchets. Reste à définir des seuils de libération.
La deuxième piste est le stockage des déchets les moins actifs dans certains centres d'enfouissement conventionnels : les installations de stockage de déchets dangereux (ISDD). L'Institut propose d'étudier cette piste pour "les déchets dans la gamme basse de la catégorie TFA". Le Cires serait alors réservé à l'accueil des déchets TFA "présentant un réel enjeu radiologique" ou pour lesquels un doute existe. Pour l'Institut, il ne s'agit pas de généraliser la démarche, car il entend "préserver le principe de séparation des rôles entre producteur et stockeur". Là encore, la définition de seuils de libération est cruciale.
Enfin, l'IRSN propose de limiter la production à la source des déchets, en libérant certains sites très faiblement contaminés, au cas par cas et sur la base d'études d'impact. Le retrait complet des matériaux contaminés préalablement au déclassement des anciens bâtiments ou sites nucléaires "est fondé dès lors qu'une application raisonnée en est faite, c'est-à-dire qu'elle ne conduise pas à produire en quantité disproportionnée des déchets « administrativement radioactifs » et pour des coûts et risques conventionnels induits qui seraient injustifiés au regard des risques radiologiques", juge l'Institut. Mais avant de libérer ces sites des servitudes, il faudrait déterminer des méthodes de caractérisation de la radioactivité, définir des scénarios d'usage de référence pour les études d'impact dosimétrique et définir la valeur de dose en deçà de laquelle des modes de gestion optimisés pourraient servir de référence pour l'application du principe "aussi bas que raisonnablement possible" (principe ALARA).