« Le retard tue la réforme indispensable de ce règlement [Reach] », estime Dolores Romano, responsable adjoint de la politique concernant les produits chimiques du Bureau européen de l'environnement (BEE). Un retard connu au moment où la Commission européenne a adopté, le 18 octobre, son programme de travail pour 2023. Et ce dernier reporte d'un an, du dernier trimestre 2022 à celui de 2023, le lancement des travaux de révision de Reach comme ceux du règlement CLP (Classification, labelling, packaging). Un agenda qui s'entrechoque avec les élections du Parlement européen qui devraient normalement se dérouler en mai 2024. Ce qui signifie, pour BEE, l'impossibilité de mener la réforme durant cette législature et sous cette Commission. « Aucune réforme complexe n'a jamais été achevée en si peu de temps, souligne l'ONG. Par conséquent, la Commission d'Ursula von der Leyen est en train de tuer la réforme en réponse à la pression de l'industrie chimique allemande. »
À noter également : la Commission comptait passer désormais par une approche par familles de produits au sein de laquelle le membre le plus nocif définirait les restrictions légales pour toute la famille. Et ce changement de regard aurait compté dans la gestion de familles de substances comme les PFAS, qui comprend plus de 4 000 composés chimiques. La Commission visait également une interdiction des produits dangereux dans les biens de consommation et à usage professionnel.
Des appels à maintenir le cap
Des ambitions qui semblent désormais mises à mal par le calendrier du programme de travail. Pourtant, un certain nombre de voix s'était fait entendre pour tenter de maintenir le cadre initial. Ainsi, 21 associations européennes, dans une lettre à la présidente de la Commission européenne et à son premier vice-président, les encourageaient à ne pas infléchir la trajectoire face aux tensions liées à l'épidémie de Covid et à la guerre en Ukraine. « Il est également clair que la pression pour retarder la réforme augmente désormais, indiquaient-elles, en septembre dernier. Nous vous appelons à continuer à résister à la pression et à utiliser ces crises comme une opportunité de changement. Le niveau d'exposition aux produits chimiques nocifs n'a jamais été aussi préoccupant – les femmes, les hommes et les enfants sont fortement contaminés. Cela a été récemment confirmé par l'étude de biosurveillance humaine à l'échelle européenne HBM4EU. »
Et le 4 octobre dernier, les ministres de l'Environnement du Danemark, de la Finlande, de la France, de l'Allemagne, du Luxembourg et de la Norvège avaient également souligné l'importance de la mise en œuvre rapide de la stratégie sur les produits chimiques. « Nous encourageons vivement la Commission à procéder à la révision prévue de Reach et à ne pas laisser à la prochaine Commission le soin de tenir vos promesses », insistaient-il également dans une lettre.
De son côté, le Conseil européen de l'industrie chimique (Cefic) indiquait ses propositions pour une révision « plus efficace » de Reach. Il revient, par exemple, sur l'interdiction des produits dangereux pour des usages professionnels. « Les interdictions génériques pour les usages professionnels peuvent nuire à la qualité des matériaux et des solutions, estime-t-il. Les actions devraient se concentrer sur la formation, la certification et les meilleures pratiques. » Le Cefic souhaiterait également que les interdictions génériques ciblent des consommateurs à forte probabilité d'exposition et se concentrent sur les produits les plus dangereux. « Les interdictions "génériques" peuvent concerner jusqu'à 12 000 substances, affecter près d'un tiers de l'ensemble du portefeuille de l'industrie et perturber de nombreuses chaînes de valeur, notamment les biens de consommation, l'électronique, les produits pharmaceutiques et la production d'énergie, souligne le Cefic. S'attaquer aux substances par "lots" en commençant par les plus risquées et en se concentrant sur la protection du grand public rend cela réaliste et prévisible pour l'industrie et donne le temps de développer progressivement des solutions alternatives ». Le 12 octobre dernier, dans un article publié dans Chemical Watch, l'association allemande de l'industrie chimique Verband der Chemischen Industrie (VCI) appelait la Commission à suspendre les travaux sur la stratégie européenne des produits chimiques pour la durabilité (CSS), « afin de permettre une réévaluation de ses priorités et de sa mise en œuvre ».
Un message qui semble avoir été entendu.
« En décidant du report de la révision de règlement Reach sur les produits chimiques, la Commission européenne, sous pression de l'industrie chimique, se résigne à exposer les populations européennes pendant encore de nombreuses années à des substances chimiques dangereuses qui auraient été éliminées par la révision initialement prévue en 2022-2023 », regrette François Veillerette, porte-parole de Générations futures.