L'Anses a présenté le 9 avril les résultats de l'évaluation des risques sanitaires associés au bisphénol A (1) (BPA). Ce rapport, complété par trois autres études sur les substituts au BPA, les autres bisphénols et les perturbateurs endocriniens, vient compléter les travaux de l'agence présentés en septembre 2011, qui alertaient déjà sur les risques suspectés chez l'homme même à de faibles niveaux d'exposition. Cet avis pointait particulièrement du doigt les risques potentiels d'une exposition de la femme enceinte pour l'enfant à naître. Cet avertissement a conduit à l'adoption, en décembre 2012, d'une loi interdisant la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du BPA, dès le 1er janvier 2013 pour les produits à destination des enfants de moins de 3 ans, en 2015 pour les autres contenants alimentaires.
Ce nouveau rapport de l'anses conduit lui aussi a des décisions politiques. Par communiqué de presse, la ministre de l'Ecologie Delphine Batho a annoncé qu'elle "proposera dès les prochains mois à la Commission européenne l'interdiction du bisphénol A dans les tickets thermiques, dans le cadre de la réglementation Reach sur les produits chimiques".
Si l'Anses souligne les incertitudes liées aux substituts, Delphine Batho veut croire en une mesure d'interdiction "effective dans les plus brefs délais". La ministre animera des échanges avec les parties prenantes pour accompagner une substitution au bisphénol A : "Il est indispensable que les industriels s'engagent dans une démarche de substitution de cette substance, en portant une grande attention à l'innocuité des substituts auxquels ils auront recours".
Une exposition permanente
"Le bisphénol A est hautement métabolisé et a une demi-vie rapide dans l'organisme. Il ne s'accumule pas. Les risques sont donc liés à une exposition continue à cette substance", explique Claude Emond, président du groupe de travail sur les perturbateurs endocriniens.
D'où l'intérêt d'évaluer les expositions réelles de la population au quotidien. Les experts ont listé tous les milieux et sources d'expositions potentielles, grâce à un recensement des usages auprès des industriels et une recherche bibliographique exhaustive. Résultat : étant donné la forte présence du BPA dans les produits de grande consommation, l'air, la poussière, le sol, l'alimentation et l'eau sont susceptibles d'être contaminés.
Les doses d'exposition ont été calculées pour les femmes enceintes, les adultes et les enfants de plus de trois ans. Une étude, actuellement menée par l'Anses auprès des enfants de moins de trois ans, devrait compléter ce travail. "Les poussières ingérées peuvent contribuer de manière non négligeable à l'exposition totale pour les enfants", note l'Anses.
L'agence met en évidence la prépondérance de l'alimentation dans l'exposition des Français (80% et même 84% chez la femme enceinte) et souligne les risques potentiels de modification de la structure de la glande mammaire chez l'enfant dont la mère a été exposée lors de sa grossesse, qui pourrait favoriser un développement tumoral ultérieur. La probabilité est de 23% pour l'ensemble des situations d'exposition et de 16% pour la seule exposition alimentaire.
Les produits conditionnés en boîtes de conserve représentent la moitié de cette exposition alimentaire (35 à 45% pour les légumes, 10 à 15% pour les plats composés et produits à base de viandes et de poisson). Surprise de cette étude : 17% de l'exposition alimentaire proviendrait de certains aliments d'origine animale : 17% pour les viandes, abats et charcuterie et 1 à 3% pour les produits de la mer. "Nos investigations n'ont pas permis d'identifier l'origine de cette contamination. Elle serait post mortem, donc après l'abattage, et pourrait aussi bien provenir des ustensiles, des encres ou des étiquettes", explique Dominique Gombert, directeur des évaluations des risques de l'Anses. De même 25 à 30% de l'exposition alimentaire proviendrait d'une contamination diffuse des aliments dont l'origine n'est pas identifiée.
Mais déjà, l'Anses estime que "l'absence de consommation de produits conditionnés en boîtes de conserve ou la consommation de produits exclusivement conditionnés dans des boîtes de conserve ne relarguant pas de BPA conduirait à réduire de manière significative le risque lié à l'exposition alimentaire, sans pour autant l'annuler".
En revanche, l'Anses estime que les études ne montrent pas de situation à risque en lien avec une exposition dans les environnements intérieurs : "Une campagne d'échantillonnage conduite sur 30 logements en Bretagne a permis de montrer la présence de BPA dans l'air et les poussières sédimentées dans certains de ces logements, mais à des niveaux ne conduisant pas à des dépassements de repères toxicologiques".
Des tickets de caisse à risque
L'Anses souligne aussi les risques d'une exposition cutanée, notamment dans le cadre d'une activité professionnelle avec la manipulation de tickets de caisse : effets sur le cerveau et le comportement, sur l'appareil reproducteur femelle, sur le métabolisme et l'obésité, et sur la glande mammaire.
L'agence souligne les risques particuliers pour les femmes enceintes travaillant en caisse et pour les femmes enceintes consommatrices manipulant des tickets thermiques.L'exposition des professionnels serait en moyenne 10 fois supérieure à celle calculée pour les consommateurs.
"Compte tenu des incertitudes non quantifiables liées notamment à la caractérisation des expositions par voie cutanée, au manque de données sur la toxicité du BPA pour cette voie et à l'utilisation de repères toxicologiques dérivés de doses critiques par voie orale", ces résultats doivent être considérés avec prudence, indique l'Anses. Cependant, elle estime qu'au vu des quantités importantes de BPA mesurées sur les tickets de caisse, cette voie d'exposition ne doit pas être négligée.