Le bisphénol A (BPA) ne présente pas de risque pour la santé des consommateurs, y compris pour les enfants à naître, les nourrissons et les adolescents. Telle est la conclusion de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui publie ce 21 janvier une réévaluation scientifique complète des effets sanitaires potentiels du BPA. Sa précédente évaluation datait de 2006, ce nouvel avis était donc très attendu.
A la lumière des nouveaux éléments, l'Efsa a cependant réduit "considérablement" le niveau sans danger (la dose journalière tolérable ou DJT), de 50 microgrammes par kilogramme de poids corporel par jour (µg/kg de pc/jour) à 4 µg/kg de pc/jour. Mais même avec cette baisse, "l'exposition par voie alimentaire ou par l'intermédiaire d'une combinaison d'autres sources (alimentation, poussière, cosmétiques et papier thermique) est considérablement inférieure au niveau sans danger", indique-t-elle, ajoutant : "Les estimations les plus élevées de l'exposition alimentaire ou de l'exposition provenant d'une combinaison de sources diverses sont malgré tout de trois à cinq fois inférieures à cette nouvelle DJT".
Ce nouveau seuil est provisoire, avertit l'Efsa : les résultats d'une étude à long terme chez le rat, menée dans le cadre du programme national de toxicologie des Etats-Unis (NTP, US National Toxicology Program), devraient permettre d'éclairer certaines incertitudes comme les effets sanitaires du BPA sur la glande mammaire, les systèmes reproductif, métabolique, neurocomportemental et immunitaire. Ces résultats devraient être disponibles d'ici deux à trois ans.
Différences d'interprétation entre l'Anses et l'Efsa
Des questions persistent sur de nombreux effets sanitaires
Si elle écarte le risque pour la population européenne aux niveaux d'expositions actuels, l'Efsa reconnaît qu'à de hautes doses (plus de 100 fois supérieures à la DJT) le BPA peut avoir des effets indésirables sur les reins, le foie et la glande mammaire.
En revanche, "les effets sur les systèmes reproductif, nerveux, immunitaire, métabolique et cardiovasculaire, ainsi que les effets sur le développement du cancer sont actuellement considérés comme improbables mais, sur la base des preuves disponibles, il n'a toutefois pas été possible de les exclure totalement", indique le Dr Husoy, membre du groupe d'experts de l'Efsa. Ces incertitudes ont néanmoins été prises en compte dans la définition de la nouvelle DJT, précise l'Efsa.
Pourtant, dans son avis de 2013, l'Anses jugeait les résultats de plusieurs études suffisamment pertinents pour établir la potentialité des risques sur le système reproducteur femelle (kystes ovariens, perturbations des cycles…), le système nerveux (altération de la mémoire et de l'apprentissage), le métabolisme (prise de poids) et la glande mammaire (effet cancérigène sur les descendants).
Enfin, alors que l'Anses citait plusieurs études ayant pointé de possibles réponses inattendues à différentes doses (effets indésirables par faibles doses notamment), l'Efsa estime que les données actuelles n'en apportent pas la preuve.
Baisse de l'exposition des nourrissons
En revanche, l'Anses et l'Efsa s'accordent sur l'exposition de la population par voie alimentaire. "En utilisant des données scientifiques publiées depuis 2006 et obtenues dans le cadre d'un appel public de données de l'EFSA, les experts de l'Autorité ont pu affiner considérablement les estimations de l'exposition par rapport à 2006", indique l'Efsa. Dans son précédent avis, les estimations d'exposition étaient plus élevées, notamment pour la voie orale (de quatre à quinze fois selon le groupe d'âge), "en raison du manque de données à cette époque, qui a conduit à des hypothèses très prudentes concernant les concentrations possibles de BPA dans les aliments et les boissons".
Sur tous les groupes d'âge pris en compte dans la nouvelle évaluation, l'alimentation est la principale source d'exposition au BPA, conclut l'Efsa. L'exposition des enfants de trois à dix ans est plus élevée en raison de "leur consommation alimentaire plus élevée sur une base de poids corporel", estime l'Efsa. En revanche, l'exposition totale des nourrissons est particulièrement faible, résultat probable de l'interdiction du BPA dans les biberons depuis 2011.
Pour tous les groupes d'âge, les aliments en conserve mais aussi les viandes et produits carnés non mis en conserve constituent d'importants contributeurs à l'exposition au BPA par voie alimentaire. L'Anses, qui a déjà pointé du doigt cette présence surprenante du BPA dans les viandes, mène actuellement des recherches sur ce sujet. Une coopération pourrait être lancée avec l'Efsa afin d'en déterminer les sources (emballage, transformation, alimentation animale…).
Des incertitudes persistent sur l'exposition cutanée
Le papier thermique est la deuxième source d'exposition pour les sujets âgés de plus de trois ans, pouvant représenter jusqu'à 15% de l'exposition totale mais de 0,1 à 0,5% de la DJT actuelle. Mais, avertit le Dr Husoy, "nous manquons de données pour documenter l'exposition cutanée - par exemple, la quantité de BPA que l'organisme absorbe à travers la peau lors d'un contact avec du papier thermique - ce qui accroît réellement les incertitudes entourant les estimations relatives au papier thermique et aux cosmétiques". Idem pour l'exposition par l'intermédiaire des jouets et de la poussière. Malgré ces incertitudes, l'Efsa estime que les niveaux d'exposition au BPA de l'ensemble des groupes d'âge par l'ensemble de ces voies sont inférieurs à la DJT de 4 μg/kg pc/jour.
De son côté, l'Anses, estime que ce risque doit être pris en compte sérieusement, notamment pour les femmes enceintes. Elle a soumis à l'échelle européenne, dans le cadre du règlement Reach, une proposition de restriction du BPA dans le papier thermique. L'Agence européenne des produits chimiques (Echa) devrait se prononcer en mars prochain. Alors que l'Efsa a étudié différents groupes d'âges, l'Anses s'est appuyée sur un scénario pour les sujets qui manipulent, en tant que travailleur, des tickets de caisse. Dans un échange de vue, l'Efsa et l'Anses ont convenu qu'aucune étude épidémiologique robuste n'est disponible sur ce sujet.