"Que peuvent apprendre les filières nucléaires et technologiques l'une de l'autre ?". C'est l'une des questions qu'avaient à débattre les participants à la 5e édition des Assises des risques technologiques, qui s'est tenue le 11 octobre à Douai (Nord). Bien que les problématiques soient traitées de façon très différentes depuis des dizaines d'années, des convergences semblent exister, révélées en partie par la catastrophe nucléaire de Fukushima.
Des convergences d'approche fortes
"La société française semble s'être ingéniée depuis 50 ans à traiter les risques nucléaires et technologiques de façon cloisonnée et différenciée", analyse Philippe Ledenvic, à la fois directeur de la Dreal et délégué territorial de l'ASN Rhône-Alpes. "Même la sémantique s'en mêle dans l'inversion des concepts de sécurité et de sûreté", relève-t-il avec pertinence.
Laurent Michel, directeur général de la prévention des risques au ministère de l'Ecologie, constate pourtant "des convergences d'approche fortes" entre les deux filières malgré… "des divergences réelles". Parmi ces convergences : la responsabilité de l'exploitant, l'approche "progrès continu", l'existence d'instances de concertation (
Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN, relève, quant à lui, trois points communs : les potentiels de danger, les démarches fondées sur le progrès continu et le fait que, dans les deux cas, la catastrophe reste possible. "Existe-t-il un plafond de verre en matière de sécurité ?", s'interroge-t-il d'ailleurs sur ce dernier point.
Pour Michel Delebarre, sénateur-maire socialiste de Dunkerque, il ne doit pas y avoir d'opposition entre risque nucléaire et risque industriel. "La culture du risque ne doit pas concerner que les industriels mais aussi la population et les collectivités locales", souligne d'ailleurs l'ancien ministre. "Le nucléaire ne doit pas être traité isolément", renchérit Jean-Claude Delalonde, président de l'Anccli (3) , qui insiste sur l'importance de la concertation et de l'information du public, et la nécessité de "mutualiser les commissions".
"Un accident nucléaire serait une catastrophe nationale"
Pourtant, les spécificités du monde nucléaire restent bien réelles. Les risques chimiques et pétrochimiques ont une cinétique violente, de faible durée et sur un périmètre limité (700 à 900 m), analyse Laurent Michel. Le risque nucléaire est au contraire de longue durée et neutralise des territoires sur une grande ampleur.
"Un accident nucléaire serait une catastrophe nationale qui coûterait des centaines de milliards d'euros", avertit Jacques Repussard. En cas d'accident avec rejets radiologiques, le territoire impacté correspond tout de suite à une portion de territoire de l'ordre du département. C'est pourquoi la doctrine française ne se donne pas le droit à un accident nucléaire. Ce que déplore Maryse Arditi, pilote du réseau risques et impacts industriels à France Nature Environnement : "on fait tout ce qu'il faut pour éviter que ne se produise un accident [nucléaire] mais on n'a pas de scénario si l'accident se produit", contrairement à ce qui existe à travers les études de dangers exigées des sites industriels.
Jean-Luc Andrieux, directeur santé, sécurité, environnement du groupe Areva conteste ce point de vue, relevant qu'il existe des études de sûreté dans le nucléaire. Le problème vient des agressions multiples que peut subir un site. Les évaluations complémentaires de sûreté (ECS) issues de Fukushima doivent pallier les faiblesses qui existaient sur ce point, selon lui.
"L'évaluation complémentaire de sûreté des installations nucléaires françaises a soulevé des questions importantes sur quelques sites où la proximité entre risques chimiques et risques nucléaires est importante", confirme Philippe Ledenvic. La catastrophe de Fukushima a aussi montré l'importance des phénomènes extérieurs sur la sûreté des installations, estime le Dreal, alors que "la culture de la prévention des risques se focalise le plus souvent sur la capacité technique et organisationnelle à les prévenir".
Fukushima, révélateur de la nécessité de prendre en cause les risques extérieurs
Fukushima semble donc avoir été un révélateur de la nécessité de prendre en compte les phénomènes extérieurs, en l'occurrence les risques naturels (séisme suivi d'un tsunami) mais aussi les risques technologiques, rapprochant ainsi deux filières souvent cloisonnées.
Aussi, on peut s'interroger, comme le fait Jacques Repussard, sur les questions de bon sens suivantes : "Faut-il continuer à construire des réacteurs de plus en plus puissants ? Est-il prudent d'implanter un terminal méthanier à proximité d'une centrale nucléaire ?". Car, comme le souligne le directeur de l'IRSN, "on ne ferait sans doute pas mieux que les japonais en cas de catastrophe", là où Michel Delbarre pense, quant à lui, que la catastrophe a pu avoir lieu à Fukushima du fait de l'absence de "réaction appropriée du gouvernement japonais".
Mais, en même temps, comme le souligne Philippe Ledenvic, "Fukushima soulève de nouveau la question des accidents extrêmes, aux probabilités infimes", alors qu'AZF avait "remis en cause le dogme français du déterminisme, en mettant en évidence la nécessité de certains dispositifs de prévention pour des accidents moins graves, mais plus plausibles".
En tout état de cause, il ressort de cette confrontation qu'il est nécessaire de "se préparer plus et mieux", et que l'approche des risques doit être plus globale, de manière à ne pas laisser de côté un facteur déclenchant, ou une combinaison de facteurs, qui pourrait se révéler fatale….