Les 11 et 12 avril, les ministères de l'Ecologie et de l'Agriculture ont réuni leur commission respective chargée du suivi de la sécheresse. S'appuyant sur les données de Météo France et du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), les deux instances constatent sur la quasi-totalité du territoire le déficit pluviométrique important de l'automne et de l'hiver passés.
"Le déficit pluviométrique de l'automne 2011 et de cet hiver est (...) préoccupant sans être alarmant", indique le ministère de l'Ecologie, alors que le ministère de l'Agriculture évoque les "conditions climatiques exceptionnelles de début 2012", en référence au déficit pluviométrique et à la vague de froid de février.
L'Ecologie souffle la politesse à l'Agriculture
Au-delà du constat, ces deux réunions illustrent les enjeux contradictoires, voire les conflits, concernant l'usage de la ressource en eau. Des conflits qui opposent à mots couverts mais de manière récurrente les deux ministères.
En choisissant la date du 12 avril, le ministère de l'Agriculture prenait les devants puisqu'en 2011, la Commission de suivi hydrologique dépendant du ministère de l'Ecologie, aussi appelée Comité sécheresse, ne s'était réunie pour la première fois que le 16 mai. A l'époque, cette première réunion anticipait déjà d'un mois le calendrier habituel. Bruno Le Maire aurait donc dû occuper seul le terrain, et cela d'autant plus que le ministère de l'Ecologie est vacant.
Las, le ministère de l'Ecologie est parvenu à réunir le Comité sécheresse le 11 avril, soit la veille de la réunion des services agricoles. Cette année il a donc deux mois d'avance sur la date attendue de première réunion.
Certes, "au moins 90 % des prélèvements pour la production d'électricité [sont restitués] au milieu naturel", indique le SOeS, mais ces prélèvements sont étroitement encadrés par des arrêtés qui conditionnent la ponction d'eau pour refroidir les centrales nucléaires et thermiques à des critères de débit et de température des cours d'eau.
Des critères difficiles à respecter lors des sécheresses ou canicules et qui donnent lieu, non pas à des restrictions d'usage, mais à des dérogations permettant aux centrales de fonctionner en dehors des bornes fixées par les textes.
Par ailleurs, l'opposition entre les deux ministères pour la gestion des ressources en eau dans un contexte de possible sécheresse ne s'arrête pas là. Dans son communiqué, le ministère de l'Ecologie renvoie à une synthèse sur les seuils d'alerte et les mesures de restrictions. "Les services de l'Etat restent vigilants", prévient le lien renvoyant vers le document, menaçant par ailleurs de "prendre toutes les mesures de restriction ou de limitation (…) nécessaires".
Or, que dit ce document ? Le descriptif des mesures applicables à trois secteurs (usage domestique, agriculture et industrie) avance que "l'agriculture représente 80% des prélèvements totaux effectués entre juin et août". Une précision qui a dû être appréciée au ministère de l'Agriculture.
Cela d'autant plus que ce chiffre semble particulièrement élevé et mériterait d'être étayé. En février 2012, le service des statistiques du ministère de l'Ecologie (SOeS) publiait une synthèse sur les prélèvements d'eau et leur évolution entre 1999 et 2009. "En 2009, 33,4 milliards de m3 d'eau ont été prélevés en France métropolitaine", indiquait alors le SOeS, précisant que "les volumes prélevés ne sont pas répartis également selon les usages : la production d'électricité en génère près des 2/3, loin devant l'eau potable (17 %), l'industrie (10 %) et l'irrigation (9 %)". Si, "l'évolution des prélèvements reste toutefois dépendante des conditions climatiques et des pratiques de production, notamment agricoles", le SOeS n'apportait aucune indication sur la saisonnalité des usages.
Difficile application de la Lema
Sur le fond, cette querelle entre les ministères tient en grande partie à la difficulté que rencontre la France à améliorer la gestion de la ressource en eau. Les services du ministère de l'Ecologie déplorent depuis longtemps les trop nombreux permis accordés aux agriculteurs, les contrôles trop peu nombreux et l'incapacité à définir des volumes d'eau à répartir entre les agriculteurs.
En l'occurrence depuis la réforme de la gestion des prélèvements d'eau, inscrite dans la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema) de 2006, une gestion négociée de la ressource, basée sur la répartition entre usagers de la ressource disponible, est attendue. Celle-ci doit se substituer à une gestion encadrant peu les prélèvements en eau et régulée par des arrêtés sécheresse lors des crises.
Or, la concertation sur la répartition de la ressource des zones de répartition de l'eau (ZRE), qui devait aboutir au plus tard fin 2010 conformément à la Lema, est au point mort. Ainsi, en février 2011, Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l'Ecologie, signait un décret reportant de un à quatre ans la concertation dans les ZRE et prolongeant les autorisations temporaires de prélèvement.
En 2011, les deux ministères avaient adopté un Plan d'adaptation de la gestion de l'eau dans lequel chacun faisait un pas vers l'autre. D'un côté les règles encadrant la réalisation des très décriées retenues d'eau étaient assouplies, de l'autre 14.000 hectares devaient être consacrés à des cultures plus économes en eau (soja en remplacement du maïs par exemple).