Par trois décisions rendues le 6 mai 2014, la Cour de cassation encadre davantage les possibilités de mise en jeu de la responsabilité pénale des entreprises en tant que personnes morales.
La chambre criminelle casse en effet trois décisions d'appel qui avaient retenu la responsabilité de sociétés pour homicides ou blessures involontaires suite à des accidents du travail. La Haute juridiction reproche aux juges d'appel de ne pas avoir mieux recherché si les manquements relevés résultaient "de l'abstention d'un des organes ou représentants des sociétés prévenues, et s'ils avaient été commis pour le compte de ces sociétés", ainsi que l'exige l'article 121-2 du code pénal (1) .
Homicides involontaires
Dans le premier cas (2) , la société Coved avait été condamnée en appel à une amende de 120.000 euros pour homicide involontaire suite au décès d'un ouvrier écrasé par une presse à cartons dans le centre de tri de Pont-Audemer (Eure), dont elle était co-exploitante. Les juges lui avaient reproché d'avoir participé à la modification de la machine à l'origine du décès et de ne pas avoir mis en place de procédure "de consignation et de déconsignation spécifique" en cas d'opération de maintenance, alors que la machine présentait diverses non-conformités la rendant "directement dangereuse pour la santé et la sécurité des employés".
Dans la deuxième espèce (3) , c'est la société du Terminal de l'Escaut qui s'était vue condamner à 5.000 euros d'amende pour homicide involontaire. Un salarié d'une entreprise extérieure à laquelle elle avait confié une intervention sur un appareil de manutention portuaire était décédé, projeté par une roue de l'engin d'un poids supérieur à 500 kg. La cour d'appel de Douai avait confirmé la condamnation de la société, la direction du travail ayant relevé plusieurs fautes à son encontre.
La nécessaire identification d'une personne physique
Dans le troisième contentieux (4) , la société Hydro aluminium extrusion France avait été condamnée par la cour d'appel d'Amiens à une amende de 1.000 euros pour blessures involontaires. Un travailleur intérimaire, mis à sa disposition pour effectuer des travaux de peinture, avait été blessé après avoir chuté d'un escabeau et être entré en contact avec un produit chimique à haute température. Il était apparu que l'accident aurait pu être évité si un équipement, muni d'une plate-forme plus large et de garde-corps, avait été utilisé.
Les juges de première instance avaient retenu la responsabilité de la société après avoir relevé une "violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement", pour ne pas avoir fourni à la victime un équipement de travail approprié. L'utilisation d'un escabeau est en effet interdite, sauf impossibilité technique, par le code du travail.
Les juges d'appel avaient confirmé le jugement en retenant la faute de la société. Ils avaient ajouté que "tout manquement aux règles en matière de sécurité au travail constitu[ait] nécessairement une faute pénale commise pour le compte de la personne morale sur qui pèse l'obligation de sécurité, sans qu'il y ait lieu d'identifier la personne physique qui a pu s'en rendre coupable, ni de rechercher si elle a agi comme organe ou représentant de la personne morale".
Ce raisonnement déclenche les foudres de la Cour de cassation, qui récuse cet automatisme selon lequel tout manquement aux règles de sécurité peut ipso facto provoquer la mise en jeu de la responsabilité pénale de l'entreprise. En d'autres termes, pour que celle-ci puisse être actionnée, il est nécessaire d'identifier une personne physique responsable du manquement et prouver que celle-ci agissait bien au nom de l'entreprise.