Dès le lendemain de sa nomination, la nouvelle ministre de l'Ecologie Ségolène Royal a annoncé jeudi 3 avril qu'elle souhaitait une "remise à plat" de l'écotaxe poids-lourds relançant la polémique. "Je ne suis pas seule à décider, mais je vais remettre à plat les choses pour voir quelles sont les autres possibilités que nous avons pour dégager des financements pour, en effet, faire les travaux ferroviaires et routiers", a-t-elle déclaré à Poitiers devant la presse, tout en rappelant qu'elle n'était pas favorable à une "écologie punitive".
Et d'ajouter : "Les Français ont déjà payé beaucoup d'impôts supplémentaires, l'écotaxe est un impôt. J'en comprends bien le sens : il s'agit de taxer ceux qui polluent, mais j'ai toujours dit que pour respecter la citoyenneté, l'écologie ne doit pas être punitive et on ne doit pas taxer des gens s'ils n'ont pas le choix de prendre le transport propre". Ce vendredi 4 avril sur son compte Twitter, la ministre a toutefois tempéré ses propos : "La remise à plat de l'écotaxe n'a aucune raison de soulever une polémique. C'est une méthode de respect et du temps donné à l'écoute", a-t-elle assuré.
Pied de nez à l'ex-ministre en charge des transports
Prévue le 1er janvier 2014, l'écotaxe poids lourds a été supendue en octobre 2013, face à la grogne des bonnets rouges bretons. Le report depuis deux ans de son entrée en vigueur aurait déjà coûté 700 millions d'euros de recettes à l'Agence de financement des infrastructures de France (Afitf), chargée de financer les projets de transports collectifs.
Un manque à gagner compensé à hauteur de 650 M€ par le gouvernement, avait annoncé en février dernier l'ex ministre délégué aux transports Frédéric Cuvillier. Ce dernier, favorable à une application de l'écotaxe "avant fin 2014", a aussitôt critiqué sur Twitter la position de la ministre. "Je m'étonne que l'écotaxe vienne d'être présentée comme un impôt nouveau. C'est tout le contraire. Alors quelles recettes nouvelles ?", s'interroge M. Cuvillier.
Et d'ajouter : "La remise à plat ? Ça veut dire quoi ? A la veille du rapport que la mission parlementaire doit rendre …" sur le dispositif. M. Cuvillier proposait une affectation du produit de la taxe par région en fonction des recettes. Une solution évoquée par la mission parlementaire, présidée par le député socialiste Jean-Paul Chanteguet depuis décembre dernier. Les députés doivent rendre dans une quinzaine de jours leur rapport d'information. M. Cuvillier avait assuré en février qu'il "ajusterait le dispositif avec le Premier ministre", à l'issue de leurs conclusions.
Une commission d'enquête parlementaire au Sénat sur le contrat octroyé au consortium Ecomouv', chargé de la collecte, est également en cours. En novembre dernier, une enquête préliminaire sur les conditions d'attribution de ce contrat signé avec l'ancien gouvernement a été ouverte par le parquet de Nanterre. Depuis la suspension de la taxe, l'Etat doit verser 55 millions d'euros par trimestre de pénalités de retard à Ecomouv'.
Le contribuable "puni" ?
L'écotaxe devait initialement rapporter 1,15 milliard d'euros par an à l'Etat, dont 20% prévus pour Écomouv' (représentant 250 millions d'euros). Sa suspension coûte déjà cher au gouvernement et bloque les projets de transports urbains en site propre. "Un nouveau report ou un abandon, évoqué par la ministre de l'Ecologie, serait catastrophique. Il pénaliserait les contribuables, les usagers des transports et tous ceux qui attendent une politique de mobilité durable", a fustigé la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut).
Même son de cloche de la part des ONG environnementales. Pour l'association Agir pour l'Environnement : "cette déclaration est une bien mauvaise entrée en matière, s'affranchissant ouvertement d'une écotaxe que les parlementaires avaient pourtant adoptée à l'unanimité en 2009". Souhaitant lutter contre ce qu'elle appelle "l'écologie punitive", la nouvelle ministre de l'Ecologie "prend le risque de proroger un modèle qui fait la part belle au tout-camion dont les victimes sont nombreuses (…). Si ce ne sont pas les pollueurs qui payent, deux options restent à la portée de la ministre de l'Ecologie : faire payer les pollués ou abandonner les projets de fret ferroviaire ou transports en commun faute de financement", affirme l'association.
"Tant que ce dispositif n'aura pas été mis en place, les coûts des externalités du transport routier seront supportés par la collectivité tout entière", renchérit Lorelei Limousin, chargée de mission climat-transport au Réseau Action Climat, en rappelant que le transport routier "bénéficie de nombreux privilèges : diminution de la taxe à l'essieu, remboursement de taxe sur le gazole, autorisation des 44 tonnes sur les routes françaises". L'écotaxe poids-lourds "n'est pas un impôt punitif", souligne-t-elle. Il s'agit d'un dispositif "incontournable pour atteindre l'objectif de report modal fixé au niveau national de 25% de fret non-routier en 2022 (…). C'est l'absence de sa mise en place qui revient de fait à pénaliser l'ensemble des citoyens", ajoute-t-elle.
Arbitrage rendu par le Premier ministre
La Fondation Nicolas Hulot s'inquiète également de cette première prise de position qui "va à l'encontre du principe pollueur payeur" alors que l'écotaxe "a prouvé son efficacité en Allemagne". Pourtant cette taxe figurait dans le programme pour la présidentielle de 2007 de Ségolène Royal, sous le nom d''écoredevance" visant "à décourager le transport par camion".
Puis volte-face : après sa suspension, la présidente de la région Poitou-Charentes avait appelé le 17 novembre 2013 sur France 3 au report "sans date" de l'écotaxe. "Le principe a été voté par le Parlement donc, pour la supprimer, il faut de nouveau un vote du Parlement et je ne pense pas que ce soit une bonne chose de recommencer les polémiques sur ce sujet. En revanche, le pouvoir exécutif a la capacité de dire : voilà, quelque chose a été voté, l'application se passe mal, une mise à plat est aussi à faire et une enquête parlementaire sur les flux financiers qui sont liés à l'écotaxe, donc le gouvernement pourrait annoncer le report de l'écotaxe sans date", avait alors déclaré Mme Royal.
Le nouveau porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a déclaré le 3 avril sur BFMTV que la ministre "avait rappelé une position qu'on lui connaissait". "Il y a un débat qui aura lieu dans un cadre interministériel et, après ces discussions, le Premier ministre rendra un arbitrage", a-t-il affirmé. Selon lui, "il n'y a pas de couac" sur l'écotaxe…
Le ou la secrétaire d'Etat aux Transports, en charge du dossier, sera nommé(e) la semaine prochaine. "Le gouvernement prendra connaissance (du rapport parlementaire) avant les décisions", a confirmé ce vendredi Mme Royal.